Compains

Histoire d'un village du Cézallier

VILLAGES et BURONS abandonnés

Premiers repérages

 

      Ce chapitre et les sous-chapitres qui suivent (Belleguette haut, Escoufort bas, Le Ronzier-Vaisse) forment l’ébauche d’un inventaire des villages et groupes de burons abandonnés au fil du temps et retrouvés sous forme de chezaux (ruines) dans la commune de Compains.

      Outre le bourg avec son clocher et la butte castrale de Brion avec son château et son village bipolaire, Compains comptait de nombreux villages, terme qui, dans les communes des montagnes occidentales, désigne un groupe d’habitats qu’en d’autres lieux on nommerait le plus souvent hameau.

      En joignant nos observations à celles des habitants, plusieurs sites de villages et burons abandonnés ont été repérés sur les hautes terres, accrochés au bord d’une pente escarpée, ou placés sur une hauteur d’où la vue embrasait l’horizon. C’est sur ces hauteurs situées à la périphérie de la seigneurie de Brion qu’on trouvait également les maisons fortes de leurs vassaux (Roche-Larzalier-La Garde) aux XIIIe– XIVe siècles.

Au XIVe siècle : une organisation par villages dispersés sur le finage de la paroisse

      Le chef lieu paroissial de Compains faisait exception dans la seigneurie de Brion où la plupart des villages avaient cherché la sécurité en s’installant sur les hauteurs. Le bourg était situé au centre d’un réseau de villages ou de hameaux majoritairement placés près des pâturages d’estive entre 1100 et 1200 mètres d’altitude, en limite de zone habitable. Le village de Brion, à 1225 mètres d’altitude et l’ancien village ruiné de la Montagne du Ronzier à 1243 mètres détenaient à cet égard un record dans la paroisse.

      Indice que l’organisation de l’exploitation du sol, de l’élevage et du pacage s’établissait bien par villages, les Bréon sont dits au XIVe siècle “seigneurs de Breon, Compens et Chaumiane”, les trois villages principaux de la seigneurie. Bien que de statut différent, Compains, chef lieu et pôle paroissial et Chaumiane simple village, sont dits “villa seu (ou) mansus” montrant qu’au sein d’une même paroisse le terme villa pouvait caractériser aussi bien le chef lieu qu’un groupe d’habitats (Chaumiane) qui ne recelait aucun édifice religieux. Les sources retrouvées montrent donc dès le XIIIe siècle la structure bipolaire de la seigneurie de Brion avec à l’ouest le pôle paroissial et à cinq kilomètres à l’est le pôle castral et son château apparu vers le XIIe siècle. S’y ajoute le manse de Chaumiane qu’il faut considérer avec en arrière plan les bois et le lac de Montcineyre qui bornent au nord la seigneurie.

      Satellisée autour de ces pôles on trouvait une nébuleuse de villages et de hameaux d’altitude – outre Compains on en comptait 16 au XIVe siècle – éloignés des tourbières et des terrains trop humides omniprésents, mais proches du bétail et des estives, proches aussi d’une source ou d’un ruisseau apte à dispenser une alimentation régulière en eau. Ce maillage territorial montre qu’autour de l’an Mil, profitant d’une conjoncture climatique favorable, les montagnes de Compains avaient été déboisées et colonisées.

“La cabane à Mouné” vers 1950

Photographie de Jean-Pierre Bernard

 

Abandon de certains villages et groupes de burons

      A tous les points cardinaux de la commune, on ne compte plus à Compains les villages et groupes de burons abandonnés au fil des siècles. Certains villages d’altitude purent être abandonnés très anciennement pour des cas de force majeure (épidémie, famine, guerre), par choix une fois la sécurité revenue, ou suite à un changement dans le mode d’exploitation des terres. Des causes la plupart du temps difficilement identifiables.

      Les hautes terres de Compains ont vu le remplacement progressif des ovins élevés durant le haut Moyen Âge par des troupeaux de vaches à graisse élevées pour leur viande ou de vaches à lait dont on tirait des fromages. Venu le temps des domaines – avérés au XVIIe siècle à Compains – des propriétaires fonciers souvent étrangers à la commune regroupent des terres rachetées à des paysans endettés : on comptait 16 domaines au XVIIIe siècle à Compains. L’abandon de ces domaines laissa des chezaux (bâtiments ruinés) dispersés sur les montagnes (La Fage, Escoufort…) où ne restaient plus au XIXe siècle que les ruines des chabanas (cabanes), et les trous des “tras” non rebouchés en dépit des injonctions des régisseurs des propriétaires fonciers. Quand aux burons, devenus pour la plupart inutiles, ils ont été laissés à l’abandon. Rien ne reste, par exemple, des 14 burons de La Garde dont le dernier a brûlé récemment.

Vacheries de Compains (indiquées par un V. sur la carte)

Carte Cassini n°53 – Gallica

      Établie dans les années 1760, la carte de Cassini représente plusieurs “vacheries” (indiquées V.) dotées de burons : Vaisse-Ronzier, Joran, La Meyran, limite orientale de la seigneurie de Brion avant la Révolution, Escoufort… Les burons de La Garde, oubliés ou postérieurs à l’établissement de la carte, n’apparaissent pas plus que le village de Belleguette haut, qu’on peut donc penser complètement oublié au XVIIIe siècle.

 

Oubliés mais pas disparus

      Entre Cureyre et Yvéra, un site enfoui à plus de 1100 mètres d’altitude a fait l’objet de fouilles récentes et quelques bâtiments masqués sous la terre accumulée ont été exhumés par des archéologues. Les modestes constructions mises à jour n’autorisent guère à le qualifier de village, voyons y plutôt un écart placé sur les terres de Cureyre, des terres allodiales conservées par les seigneurs de Brion et pour lesquelles ils ne rendaient d’hommage à personne, pas même au roi de France.

      D’autres villages perchés ont occupé les lieux stratégiques de la seigneurie où la vue pouvait embrasser une vaste étendue. Implantés sur les hautes terres, ils laissent encore voir en surface des chezaux parfois importants comme à Belleguette haut, bien qu’aujourd’hui masqués par la forêt qui les a envahis. Abandonné ou déplacé en des temps où la paix bien installée n’imposait plus une situation à l’écart de la vallée, ce hameau probablement médiéval n’ont jamais fait l’objet de fouilles. Leurs ruines souvent visibles près d’à pics ou de bordures montagneuses mériteraient pourtant une exploration approfondie qui éclairerait sans aucun doute des aspects méconnus du peuplement de la commune durant le Moyen Âge et sous l’ancien régime.

 

Localisation des villages perchés

      Le curieux qui parcourt quelques uns des 50 km2 couverts par la commune de Compains depuis la Révolution peut, en cherchant bien, y découvrir les ruines de plusieurs villages ou groupes de burons. Qu’ils soient cachés au fond des bois ou situés dans les herbages à plus de 1200 mètres d’altitude, ces anciennes structures témoignent d’un passé vieux de plusieurs siècles. On les découvre par exemple au nord de la commune sur des terres qui appartinrent aux Saint-Nectaire au Moyen Âge, à l’est sur les terres du chapitre de Saint-Chamand à l’époque moderne, au sud sur d’anciennes terres allodiales de Maurin de Bréon à Cureyre. Certains dévoilent des murs pour partie encore en élévation, avec une rue, des caves et, au moins pour l’un d’eux, une motte féodale qui porta vraisemblablement un point défensif.

Villages et burons abandonnés (limites communales postérieures à la Révolution) – I.G.N. Carte 1 : 25 000 Monts du Cézallier modifiée

 

      Dans les sous-chapitres qui suivent nous évoquerons le village abandonné de Belleguette haut et deux sites de burons abandonnés : l’un situé sur la montagne d’Escoufort bas, l’autre situé au Ronzier, à l’ouest de La Gardette.