Compains

Histoire d'un village du Cézallier

COMPAINS au XVIIIe siècle

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      Ce chapitre est une introduction aux sous-chapitres qui suivront où nous tenterons d’établir une “histoire des catastrophes” majeures qui frappèrent les compainteyres de 1700 à la Révolution. Il fait suite au chapitre consacré à la misère à Compains dans les années 1690-1699. On tentera de mettre en évidence les retombées principalement démographiques, sociales, économiques… des évènements climatiques sur la population rurale au septentrion du Cézalier et les moyens mis en place en Auvergne par l’État pour venir en aide aux habitants de la province confrontés à des catastrophes majeures, par exemple en 1709 et 1740.

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La soumission au climat

      Il s’en faut de peu pour que nos connaissances du climat à Compains et dans ses environs proches se soient limitées au seul comptage des morts alignés dans les registres paroissiaux. Si d’évidence les dérèglements du climat eurent des  conséquences de tous ordres, il a fallu creuser pas à pas la micro-histoire de Compains et des villages environnants pour dégager des archives le faible écho des calamités survenues entre 1700 et 1719 dans la région. Le climat doit donc être mis en cause bien qu’on manque d’observations météorologiques précises. Aucun relevé de température ou de pluviométrie n’a pu être détecté dans la région. Les données démographiques nous proviendront essentiellement des curés, par le biais des registres paroissiaux et des visites pastorales. Pour nourrir la recherche,  on s’est orienté vers les sources de l’intendance d’Auvergne et les minutes notariales pour y glaner les moindres faits aptes à renseigner, année par année, la situation de la communauté villageoise. 

      Il est singulier de constater qu’un évènement extrême comme le Grand Hiver 1709 suscita peu de commentaires en dépit des dégâts occasionnés aux personnes, aux récoltes et aux biens. Le Grand Hiver qui ruina les semis en semant la désolation ne défraya pas la chronique locale plus qu’une année “commune” et le curé resta muet dans ses registres.

      Il faut bien revenir sur ce qu’on peut considérer comme une évidence. Chacun subissait les éléments et survivre était une lutte quotidienne contre un climat dur et changeant. L’instabilité climatique avec ses hivers glacés, un court printemps souvent pourri et des étés souvent trop secs fut souvent et longtemps le lot des compainteyres. L’intendant d’Auvergne relatait que le climat “des montagnes est extrêmement froid et la neige couvre la terre 7 à 8 mois de l’année”, ce que nous sommes très loin d’observer et même d’imaginer de nos jours. Les Montagnes occidentales, frappées par les influences atlantiques, étaient exposées à un climat de haute montagne qui retentissait sur le caractère farouche des habitants à “l’esprit fort dur et très grossier et [aux] manières sauvages”, ainsi que les décrit l’intendant d’Ormesson après la famine des années 1690.

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De famine en disette

      Au XVIIe siècle on mourrait de famine. Au XVIIIe siècle “on ne souffre plus que de disette”, remarquent certains. Un vrai progrès ! La première moitié du siècle est pourtant encore vouée au malheur. La documentation montrera que si on ne subissait plus la famine, le climat imposait d’endurer de graves crises de subsistance et leur suite de disettes et ce, curieusement à Compains, peu ou prou de dix ans en dix ans jusqu’à la Révolution.

      La jointure de printemps était redoutée. Les semaines, pour certains les mois qui précédaient la récolte pouvaient être dépourvus de réserves de nourriture et d’argent. On espérait le retour de celui qui, parti en émigration hivernale, rentrerait au village pourvu de quelques ressources. Sous-alimenté, on était fragilisé et on mourrait au printemps de la poitrine. La tuberculose était à cette époque plus répandue en campagne qu’en ville, une tendance qui ne s’inversera qu’à partir du XIXe siècle. Le froid n’était pas le seul à incriminer. Les sécheresses et les canicules d’été étaient elles aussi homicides. L’automne voyait les eaux souillées par les animaux provoquer des dysenteries, ces “flux de ventre” souvent mortels sur des organismes affaiblis par la sous-alimentation.

      On ne mourrait donc plus de faim au Siècle des Lumières mais, de disette en disette, on subissait ce que les sociologues nomment la pauvreté conjoncturelle : dès qu’un dérèglement grave apparaissait, on recommençait à crever la faim, ce que révèleront au chapitre suivant les courbes issues des registres paroissiaux.

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Une fiscalité accablante

      Au chapitre des calamités non climatiques et non épidémiques, arrive au premier rang l’oppression de la fiscalité qui accablait l’Auvergne.  Pourtant nommés par le pouvoir royal, les intendants d’Auvergne,ne cessèrent de dénoncer à Versailles la fiscalité trop lourde imposée aux auvergnats comparée aux autres provinces du royaume. Le poids des impôts condamnait à l’émigration hivernale les hommes, souvent accompagnés d’enfants. L’émigration, outre qu’elle occupait les hommes pendant le long hiver, diminuait le nombre de bouches à nourrir au village, permettait de ramener au foyer de quoi payer les impôts excessifs auxquels étaient assujettis les paysans. N’a t’on pas écrit que pour ces gens laborieux la misère était la face cachée du siècle ? Selon un témoin du temps “durs envers eux-mêmes”, indociles sans doute mais misérables sûrement, les montagnards cherchaient dignement à cacher leur misère. Aussi voit-on l’expression “pauvres honteux” revenir à plusieurs reprises dans les textes pour désigner tous ceux qui peinaient à nourrir leur famille, écrasés entre les propriétaires privés, nobles, bourgeois ou religieux et les collecteurs de taxes.

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L’amorce d’un redressement

      Pour certains observateurs, le paysan-éleveur des Montagnes était favorisé : ne bénéficiait-il pas – quand tout allait bien – des protéines qui manquaient au cultivateur des Limagnes ? Mais fâcheusement, les bestiaux eux aussi ne furent épargnés, ni par les épizooties, ni par les “disettes de fourrage” décrites par les témoins du temps. Au XVIIIe siècle, l’Auvergne n’était plus vouée au malheur comme elle l’avait été aux XIVe et XVIIe siècles. On a vu qu’à Marsol et on l’observe également à Brion et au bourg, une minorité de compainteyres s’en sortaient à peu près (voir le chapitre Chroniques villageoises Marsol).

      Moins homicidaires qu’au XVIIe siècle, les années 1710-1719 virent les familles se reconstituer bien avant la seconde moitié du siècle en dépit d’une mortalité infantile désastreuse. Une fratrie de 16 enfants n’en voyait que moins d’une poignée parvenir à dépasser les vingt ans. Et comment nourrir sa famille alors qu’on ne pouvait, faute de ressources suffisantes, acquérir des terres où installer ses enfants ? On a déjà vu que près de la moitié de la superficie de la paroisse, occupée par des domaines, échappait aux paysans comme leur échappait les 24 hectares captés par le seigneur à Brion.

      Pour les démographes et les historiens, la population de l’Auvergne ne se redresse qu’à partir de la seconde moitié du siècle. Nos sources documentent cependant qu’à Compains la population repart à la hausse dès le premier tiers du siècle et continue d’augmenter ensuite de façon continue. La paroisse serait-elle une exception ? L’étude ultérieure de quelques villages périphériques pourra montrer s’il s’agit d’une tendance régionale.

      Principalement orientée vers l’observation des calamités et de leurs conséquences démographiques et autres, cette étude va évidemment laisser dans l’ombre des pans entiers de l’histoire miséreuse des montagnards. Nous nous efforcerons cependant d’y introduire quelques cas concrets qui viendront éclairer le destin de certains individus dont le travail tenace et la volonté d’accéder à une vie meilleure réussirent à propulser dans le XXIe siècle la descendante de compainteyres qui écrit ces lignes.

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A SUIVRE au chapitre

1700-1719 – Des années de misère au redressement

 

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