Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– Le château de BRION au Moyen Âge

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Une “place rochière”

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      Longtemps on put arpenter les ondulations des herbages de la butte basaltique aujourd’hui nommée la Motte sans se douter que dans un lointain passé un château médiéval s’était dressé ici à Brion, autour de l’an Mil.

Compains – La Motte de Brion – Au premier plan, le Lac des Bordes

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     De nos jours, les photos aériennes et les sources archivistiques éclairent cette résurgence d’un passé enfoui, en un lieu où, depuis des siècles, rien si ce n’est le piétinement saisonnier des “bêtes à cornes”, n’est venu fouler les fondations de la tour  et de ses murailles ruinées, mais toujours inscrites sur la montagne.

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Motte de Brion – Les fossés du château – Au fond, le Massif du Sancy

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Un site castral

     A la marge septentrionale du massif Cézalier, la butte de Brion – une coulée basaltique – est un sommet de moyenne montagne à qui sa hauteur  (1273 mètres) et son isolement offrent par beau temps, une visibilité à 360° vers les horizons lointains du Puy-de-Dôme, de Gergovie, du Sancy et du cœur du Cézalier.

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Le Puy-de-Dôme vu depuis le sommet de la Motte de Brion

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      Utilisant le relief naturel, le vaste complexe de Brion s’articule autour de deux buttes basaltiques. Dite la Motte, selon nos sources au moins depuis le XVIIe siècle, mais sans doute depuis des temps immémoriaux, la butte principale porta jadis un château assis sur le terre-plein central aplani formant une plate-forme. Satellite de ce relief principal, une petite butte secondaire jouxte la Motte sur son flanc Nord. Au fil du temps, un hameau devenu bipolaire vint flanquer les deux buttes avec à l’est Brion-Bas – vraisemblablement le hameau le plus ancien – et à quelques encablures à l’ouest, Brion-Haut.  En langue vernaculaire, on dira que la Moutte est flanquée de la Viole (Brion-bas) et de la Panchou (Brion-haut). Le village qui reçoit de plein fouet les intempéries océaniques, est doté d’un climat dur caractérisé par un printemps court et des hivers précoces et interminables qui jamais jusqu’à nos jours ne réussirent à décourager une population rurale qui fut même autrefois très nombreuse. Certaines sources allèguent que le terme viole désignerait un lieu anciennement habité.

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La Motte en hiver

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     Brion dérive du terme gaulois briga qui désignait un lieu élevé. Le développement de l’insécurité fit de ces points élevés des lieux de surveillance, puis des lieux défensifs avec l’arrivée des premiers châteaux qu’on construisit en bois ou en pierre, selon ce qu’offrait la nature. Vers l’an Mil, la mise en place de la féodalité dressait partout en Auvergne des centaines de ces “places rochières”. Au fil du temps et de la militarisation des montagnes, le poste de garde évolua pour devenir une fortification, un de ces “châteaux sur les rochers” qu’évoquait déjà Sidoine Apollinaire au Ve siècle. Au fil du temps, le croît de la population favorisa le développement d’un habitat permanent près du château.

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La Motte de Brion et sa butte satellite

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      Plutôt que d’un château, c’est donc bien d’un site castral qu’il faut parler aujourd’hui à Brion, [illustré ci-dessous par les superbes vues du ciel de Philippe Tournebise et Francis Cormon], puisque aucune élévation n’évoque plus ici la forteresse qui matérialisait ce lieu de pouvoir des Bréon, avéré en 1222.

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Les buttes de Brion vues du ciel et le village bipolaire

(Cl. Ph. Tournebise)

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Une tour doublement cernée d’une enceinte bordée de fossés

      La disparition de toute élévation sur la Motte n’est malheureusement pas compensée par le témoignage de sondages ou de fouilles archéologiques qui permettraient d’exhumer les bases de ce qui fut le lieu de vie des Bréon, d’identifier et dater les bâtiments et de fournir du mobilier céramique ou autre. Il faudra donc se contenter des clichés aériens pour déchiffrer les grandes lignes des vestiges.

      Vu du ciel, l’héritage de l’histoire nous laisse l’empreinte d’une tour seigneuriale quadrangulaire, un donjon dont les vastes proportions laissent à penser qu’il fut construit aussi bien pour la défense que pour la résidence. Par mesure de sécurité, sa porte d’entrée dut être située au premier étage, parti-pris architectural privilégié pour la plupart des tours de la région du XIe au XIIIe siècle dans les départements du Puy-de-Dôme et du Cantal [B. Phalip].

Traces du château au sommet de la Motte (Cl. Ph. Tournebise)

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      Le donjon resta carré dans le style auvergnat et ne fut jamais remplacé par une tour ronde de style français d’une facture pourtant réputée plus résistante aux attaques. Cette absence d’évolution du bâti nous parait plaider en faveur du peu d’intérêt marqué à partir du XVe siècle par les successeurs des Bréon pour cette forteresse, fragilisée par un isolement qui l’exposait aux entreprises des rôdeurs. La tour est cernée d’une basse-cour (cour basse) où on distingue la trace de bâtiments à double vocation : bâtiments agricoles en temps de paix, ils nous rappellent qu’une seigneurie est aussi une exploitation agricole ; lieux de refuge en temps de guerre, c’est dans ces “loges” que pouvaient venir se réfugier les paysans lors de la survenue d’un danger. Plusieurs villages de Compains, dont le bourg, trop éloignés de la seigneurie ne pouvaient profiter du havre fourni par le château et devaient se contenter du refuge fourni par les bois environnants.

La Motte de Brion vue depuis Beauregard à l’extrémité est de la seigneurie, (com. de Roche-Charles-La Meyrand). Au premier plan  Belleguette, au fond à gauche de la Motte, les Monts du Cézalier

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      Compte-tenu de la rareté du bois dans le Cézalier – mais était-il si rare au XIIe siècle ? – l’important dispositif du château, fondé directement sur la roche, fut construit en matériau local qu’on trouve aujourd’hui remployé dans les maisons environnantes. Visible à des dizaines de kilomètres à la ronde, la tour qu’on peut imaginer surmontée de la bannière des Bréon, émergeait d’un cercle de murailles bordées de fossés et matérialisait ostensiblement l’autorité exercée par les seigneurs de Compains sur les terres qu’ils gouvernaient.

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Butte au pied de la Motte

A droite Brion-Bas, au fond le Lac des Bordes

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Au cœur de la seigneurie de Brion : la Motte vue du ciel – Cl. Francis Cormon

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POUR se REPRESENTER la TOUR de BRION

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  • La tour du sceau de Guillaume de La Tour, abbé de Brioude (1224-1226)

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Sceau de Guillaume de La Tour (1225) – A.D.P.D.

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      Un des aspects possibles de la tour de Brion nous est proposé par la représentation de la tour qui figure sur le sceau de l’abbé de Brioude, Guillaume de La Tour, l’un des signataires de l’acte de donation de la terre du Cheix en 1225 par Maurin de Bréon à l’abbaye de Saint-Alyre. Guillaume de La Tour y fit représenter la tour seigneuriale qui donna son patronyme à sa famille.

      Représentée en élévation et surmontée de créneaux, la tour, est posée sur quelques marches. La porte est surélevée ce qui pourrait indiquer qu’elle était desservie par un escalier de bois escamotable en cas d’attaque. Ses étages supérieurs pourraient avoir été desservis – comme on l’observe au château de Mardogne – par un escalier intérieur dissimulé dans l’épaisseur du mur. L’éclairage de l’étage seigneurial était assuré par deux fenêtres de taille importante.

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  • La tour de Colombine

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Molèdes – Tour de Colombine

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    Vestige spectaculaire de la multitude de tours seigneuriales de plan carré où vécurent les familles nobles dès le XIe-XIIe siècle, à Molèdes (Cantal), la tour de Colombine est encore en élévation, comme à Anzat-le-Luguet la tour de Besse. Comme à Brion, elle sont placées en position haute  pour mieux surveiller le pays environnant.

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  • La tour de Besse

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Sur la tour de Besse, voir le blog “le chevalier dauphinois” (châteauruine.fr).

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L’exemple de Mardogne, l’autre grande seigneurie des Bréon

      Quelle était l’apparence de la tour de Brion ? Les observations de Bruno Phalip montrent qu’en Auvergne les plafonds des tours étaient le plus souvent voutés. On passait d’un étage à l’autre par un escalier de bois ou par un escalier ménagé dans l’épaisseur du mur à la place du blocage, solution retenue au château de Mardogne (com. de Joursac, Cantal).

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La tour de Mardogne

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      A Mardogne, la tour avait vraisemblablement une vocation plus militaire que résidentielle. A son pied, apparaissent des bâtiments destinés à rendre plus agréable la vie quotidienne formant un grand corps de logis qui procurait aux maîtres du château une résidence plus confortable que la tour. C’est sans doute là que Jean de Berry fut hébergé en 1366 par Maurin III de Bréon.

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Le château de Brion au Moyen Âge

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Le Dauphin d’Auvergne, suzerain des Bréon

     La situation de la seigneurie de Brion qui occupait le sud de la Couze de Compains  comme l’intérêt exceptionnel du site de Brion n’avaient pas échappé au Dauphin d’Auvergne qui, en 1222 vassalisa la seigneurie de Maurin de Bréon qui, dorénavant, dut avouer le Dauphin comme son suzerain.  Situé au sud du Dauphiné d’Auvergne où le dauphin résidait au château de Vodable, le fief de Brion se trouvait placé en vigie pour stopper l’avancée des Mercoeur dont on trouvait des vassaux au delà du ruisseau dit L’eau derrière, qui coule à un vol de chapon du château de Brion. Les Mercoeur qui  avaient avancé leurs pions dans le Cézalier jusqu’à La Godivelle, Aubijoux et Marcenat créèrent la ville nouvelle d’Ardes au XIIIe siècle, peu après la vassalisation de Brion par le dauphin.

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“Le bon temps du roi Saint-Louis”

      Seules les croisades et les guerres privées auxquelles s’adonnaient les seigneurs auvergnats troublèrent la longue paix qui précéda la guerre de Cent ans. C’était “le bon temps du roi Saint-Louis” et de ses successeurs. En l’absence de menace, on avait négligé l’entretien des châteaux et parfois même certains ne servaient plus de logis au seigneur qui préférait vivre dans des lieux moins hostiles que la montagne. Les Bréon vivaient soit dans leur hôtel de Clermont, soit dans celui de Saint-Flour quand ils ne n’habitaient pas le château de Mardogne.

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La guerre de Cent ans

      Les débuts de la guerre (1337) contraignirent la royauté à élaborer une politique de rénovation des murailles des villes et des châteaux du royaume qui impacta directement l’Auvergne. En réaction aux bruits de guerre, les consuls de Saint-Flour furent autorisés en 1345 à lever une taxe pour réparer leurs murailles. La même année, on permettait aux consuls d’Aurillac de lever un impôt sur toutes les marchandises “pour la defension du royaume”. En 1348, les montferrandais étaient à leur tour autorisés à lever une taxe pour relever leurs murailles.

      A Brion, c’est dans ce contexte que le prêtre Johannes Bohery qui officiait à la chapelle castrale de Brion, prebiterus de villa de Breo, vend à Maurin III de Bréon des biens proches des murailles du château. Maurin, alors pourtant en pleine déconfiture financière, lui achète en 1347 une maison située près des remparts, jus valatum castrum de Breo, mais aussi une grange et plusieurs prés situés dans les appartenances du village. On peut concevoir que par la vente d’une maison et des terres qui lui étaient associées, le prêtre mettait peut-être tout simplement fin à son ministère à Brion.

      Quant à Maurin, complètement désargenté à cette époque, il n’avait guère les moyens de remparer Brion, sinon en s’endettant davantage encore. Le cas échéant, il pouvait se replier à Mardogne bien défendu et qui semble n’avoir jamais été pris par les routiers.

      L’entrée de la guerre en Auvergne après la défaite de Poitiers (1356) marque véritablement la fin de la longue période de paix qui avait jusque là favorisé la province. L’isolement de châteaux comme Brion et Entraigues les rendait dorénavant très vulnérables aux bandes errantes de soldats démobilisés qui pouvaient venir y gîter. En 1367, une ordonnance royale adressée au bailli d’Auvergne lui intime de visiter avec deux chevaliers les forteresses de son bailliage, des visites d’inspection qui avaient pour but de relancer la remise en état des forteresses aux frais des seigneurs. S’ils en étaient incapables, on devait “abattre et araser” le château. Les seigneurs étaient au pied du mur. En pleine période de guerre ils allaient devoir engager des frais considérables pour relever les murailles de leurs châteaux.

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Désintérêt des propriétaires successifs

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Peschin

      Pour Imbaud du Peschin, nouveau seigneur de Brion depuis 1366, puis pour sa fille Jeanne “dame de Breon” , qui vivaient tantôt à la cour du duc de Berry , tantôt à celle du duc de Bourgogne, tantôt près du roi, investir dans un château où ils ne vivront jamais, dans une région au climat âpre où circulaient des bandes incontrôlées ne pouvait être que d’un intérêt limité. Les textes retrouvés – en nombre limité il est vrai – ne font apparaitre aucune mesure de renforcement de Brion pour tenir en échec les compagnies de routiers qui rodaient dans les montagnes.

      Ce qui devait arriver arriva : Brion fut occupé par les Anglais dans les années 1370. Sans doute la forteresse resta-t-elle plusieurs années occupée car c’est en 1375 qu’il il fallut payer un pâtis pour sa libération. L’abbaye de Blesle fut, comme d’autres, taxée pour contribuer à ce pâtis. Le château avait donc été investi et jugé tenable par une compagnie d’Anglais dont le chef nous est inconnu. On sait qu’en outre dans l’environnement proche de Brion, Mérigot Marchès avait investi le château de Fortuniers près de Vèze, avant de lancer en 1381 l’expédition qui aboutira à la prise du château de Mercoeur à Ardes. En 1383, il tint même un moment le château de Rochecharles qui touche l’extrémité nord-est de la seigneurie de Brion. Au sud-ouest de la paroisse de Compains, le château d’Entraygues, raconte t-on, fut occupé entre 1370 et 1384 par Pierre de la Bruyère, le chef d’une bande de Tuchins. Démantelé en 1384, Entraygues vit ses pierres dispersées, il sera reconstruit au siècle suivant.

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Derniers vestiges du château d’Entraygues (com. Egliseneuve d’Entraygues)

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Souchet

    Brion ne semble pas avoir fait l’objet d’une mesure de destruction après son occupation par les compagnies en 1375, d’autant que financer la démolition d’un château coûtait cher et nécessitait la levée d’un impôt.  La seigneurie passe en 1411 entre les mains des Souchet, des bourgeois clermontois sans doute plus intéressés par la commercialisation des productions locales que par l’entretien coûteux d’un château isolé dans les montagnes. Le château est mentionné en 1434 dans l’aveu d’Etienne Souchet à Louis de Bourbon, en un temps où l’Auvergne restait peu sûre.

Le bon duc Loys de Bourbon suzerain du seigneur de Brion et son épouse

Anne Dauphine, fille de Béraud de Mercoeur, Dauphin d’Auvergne

Bibl. Nat. Armorial de Revel (v. 1450)

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       Comme quantité de châteaux auvergnats, Brion est absent de l’Armorial de Revel réalisé vers 1450. Au XVe siècle, certains châteaux voisins de Brion furent rapidement relevés à l’occasion d’un changement de propriétaire. Le château d’Entraygues, passé des Bréon aux Chaslus, puis aux Chabannes, fut reconstruit vers 1450 par Agnès de Chabannes. Le château de Val, possession des Tinières, héritiers des Bréon, fut vendu à Guillaume d’Estaing en 1440 et reconstruit l’année suivante.

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A SUIVRE au CHAPITRE

De la forteresse au “chasteau”

Un commentaire sur “– Le château de BRION au Moyen Âge”

  1. GRANDE Says:

    Bonjour, Pouvez-nous nous situer la borne seigneuriale ? entre Compains, Brion et la Godivelle. Nous essayons d’obtenir des informations. Merci
    M. P Grandé

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