– La chapelle disparue
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La CHAPELLE SAINT JEAN-BAPTISTE de BRION
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La grande étendue de la paroisse de Compains (70 km2 environ avant la Révolution), rendait longs, difficiles et parfois dangereux les déplacements du curé qui devait chevaucher de hameau en hameau pour visiter les malades ou administrer les sacrements. En toutes saisons et quel que soit le temps, souvent seul et parfois âgé, l’ecclésiastique arpentait à cheval le territoire de la paroisse, veillant à ce que “personne nestre mort sans sacrement par sa faute”, un point particulièrement vérifié par les évêques lors des visites pastorales. Compte tenu de la distance importante (5 km) qui séparait Brion du bourg, on redoutait en outre de n’avoir pas le temps d’acheminer les nouveau-nés jusqu’à l’église Saint-Georges et de ne pouvoir leur éviter les limbes s’ils mouraient en chemin. L’intérêt général justifiait donc la construction d’un lieu de culte de proximité qui réponde au besoin d’assurer à Brion le soutien spirituel des dépendants du seigneur.
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AU MOYEN ÂGE
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Une chapelle castrale à Brion en 1347
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Aucun texte ne permet de préciser la date d’établissement de la chapelle, probablement contemporaine de l’installation du château sur la Motte vers les XIe-XIIe siècles. En revanche, il est documenté qu’on trouvait à Brion en 1347 une chapelle dont le desservant était Johannes Bohery, qualifié dans les sources anciennes “presbiterus de villa de Breo”. Prêtre du village castral de Brion, Bohery vendit le 7 février 1347 (n.s.), à noble homme Maurin de Mardogne et Bréon, chevalier, une maison (hospicium) et quelques biens situés près des murailles du château (valatum castrum de Breo).
La chapelle de la Borie d’Estaules (Cantal). Au cœur des terres tenues par les Bréon entre Egliseneuve et Condat, l’aspect extérieur de la chapelle de la Borie doit être peu différent de celui de la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Brion telle que décrite dans les textes à l’Époque Moderne.
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Archéologiquement attesté, mais jamais fouillé, le site de la Motte et celui de la petite butte satellite qui la jouxte se révèleraient sans aucun doute riche en informations d’autant que depuis des siècles ils ont été épargnés par les engins agricoles et peu impactés par les activités humaines ou les sabots des animaux. Alors qu’on observe qu’en Auvergne la coutume était de placer les chapelles castrales au nord des châteaux, on pourrait conjecturer que le petit sanctuaire se trouvait au sommet de la Motte, vers son angle nord-est.
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A partir du cliché aérien de la Motte pris par Philippe Tournebise (voir ci-dessous), notre schéma propose deux hypothèses : la première concerne la chapelle Saint Jean-Baptiste qu’on situe au sommet de la Motte et à l’intérieur des murailles de l’enceinte du château, emplacement que permet d’envisager un texte de 1347. La seconde hypothèse a trait au village castral de Brion : le plus ancien des deux hameaux de Brion serait l’actuel Brion-bas, conjecture confortée par un fait avéré : c’est à Brion-bas que se trouvait le four seigneurial.
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La Motte de Brion vue du ciel (Cl. Philippe Tournebise)
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Proche des murailles, la maison du prêtre devait se trouver près de la chapelle et elle aussi protégée par l’enceinte du château. Un témoignage postérieur viendra étayer cette hypothèse. Lors d’une visite pastorale en 1634, la “chapelle champêtre” de Brion est dite “esseulée sur une montagne”, battue par les vents et couverte de neige plusieurs mois de l’année. Une description qui conforte l’idée que le sanctuaire devait se trouver au sommet de la Motte.
Brion – La petite butte qui abrite Brion-bas
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A L’ÉPOQUE MODERNE
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Une petite chapelle sous la titulature de Saint Jean-Baptiste
La dédicace à Saint Jean-Baptiste laisse deviner qu’à l’origine la chapelle de Brion n’était sans doute qu’une simple chapelle baptismale. Les sources [A. Bruel, Pouillés] la décrivent en 1535 comme un petit sanctuaire long de douze pas et large de six, une taille exigüe qui sous-entendrait qu’à l’époque de sa construction la population de Brion devait être clairsemée. La chapelle était dotée d’une vicairie dont le desservant était à la nomination du seigneur du lieu. On n’y trouvait pas de cimetière, privilège réservé à l’église du chef-lieu où les habitants étaient tenus de se faire inhumer et de venir assister aux offices des grandes fêtes.
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Heurts et malheurs de la chapelle
A l’Epoque Moderne, l’état de la chapelle est documenté par les rares visites pastorales de l’évêque de Clermont ou de son représentant. En 1634, le procès-verbal de la visite d’inspection dépeint l’inquiétante dégradation du bâtiment, pavé et couvert de tuiles en bois (on trouve aujourd’hui encore ces tavaillons de châtaignier sur le clocher de l’église Saint-Georges au bourg de Compains). Les fenêtres sont “toutes ouvertes sans aucune vitre ni fenestre de bois et par lesquelles les hommes pourroient passer”. A l’intérieur, les objets du culte sont bien pauvres. Les ornements, comme le missel, sont usés et les armoires sans fermeture. Le Saint-Sacrement lui-même est “dans un ciboire de cuivre tout rompu”.
Alors que le curé Gabriel de Chazelles prend en mains en 1677 sa nouvelle cure de Compains, il découvre qu’après sa visite pastorale de 1676, l’évêque de Clermont, Gilbert de Vény d’Arbouze a suspendu la desserte de la chapelle de Brion qu’il a jugée trop dangereuse tant que des travaux n’y seraient pas effectués. En piteux état, les objets du culte ne valaient pas mieux que le gros œuvre : manque d’autel portatif, nappes d’autel usées, tabernacle de bois grossier, chasuble de camelot usée (une étoffe de laine mêlée parfois de poil de chèvre), missel détérioré et, couronnant le tout, des armoires qui ne fermaient pas à clé sauf celle qui contenait deux reliquaires. Gabriel de Chazelles fait effectuer les réparations demandées par l’évêque et souhaite pouvoir célébrer une messe bimensuelle. Après une contre-visite de Léger Dabert, curé de la paroisse de Saint-Diéry commis par l’évêque, la chapelle sera rouverte.
En 1700, l’évêque François Bochard de Saron visite la paroisse de Compains et décide à nouveau d’interdire la chapelle pendant un an, le temps de réaliser les travaux qui s’imposent. Les travaux furent sans doute réalisés puisqu’ en 1735, Jean Breulh curé de Compains, peut déclarer à l’évêque Jean-Baptiste Massillon que la chapelle de Brion est en état.
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Des reliques lucratives
La chapelle de Brion abritait, aux dires du curé De Chazelles, plusieurs reliques et jusqu’à “du saint bois de la croix de nostre seigneur Jesus Christ”. Contenues dans deux reliquaires enfermés dans un buffet fermant à clef, ces reliques, approuvées par l’évêque, attiraient une grande affluence et des dons à la chapelle les jours des fêtes de Saint-Jean, Sainte-Magdelaine et Saint-Martin. Comme les reliques attribuées à saint Gorgon conservées dans l’église Saint-Georges, on peut penser que ces reliques nombreuses – quoique bien invraisemblables – ont pu être ramenées à Brion par François de Montmorin-Saint-Hérem après la mise à sac de l’abbaye de Gorze en Lorraine, (voir le chapitre consacré aux Montmorin-Saint-Hérem).
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Cumuler pour survivre
La chapelle était desservie par un vicaire nommé par le seigneur. Jean Breulh, neveu homonyme du curé de Compains était vicaire de la paroisse Saint-Jean de Randan. Nommé vicaire à Brion, par Jean de Laizer, il nomme, le 11 juillet 1732 un procureur chargé de le représenter pour prendre possession de la chapelle de Brion après la démission de Fauchier, son prédécesseur. Jean Breulh cumula cette fonction peu lucrative avec celle de vicaire à Largillier auprès du curé de Saint-Alyre-ès-Montagne. Marque de népotisme tolérée par l’Église, c’est un autre neveu du curé, Guilhaume Breulh, qui lui succéda auprès de son oncle à Compains.
Un traité passé avec ses ouailles avait réglé les conditions de l’exercice du ministère de Jean Breulh à Brion. Le vicaire s’engageait à y dire les messes fondées et toutes les messes des jours de fêtes et dimanches “a l’exception néanmoins desquelles festes solennelles auxquelles lesdits habitants seront tenus aller ouir la messe et faire leurs dévotions à Compains leur paroisse”. Les messes exceptionnelles et les inhumations – on ne connait pas trace de cimetière à Brion – restaient donc l’apanage du chef lieu.
Pour assurer son service, Jean Breulh touchait 80 livres par an que les brionnais s’engageaient à lui payer solidairement en deux fois “lorsqu’ils jetteront les herbages de leurs montaignes et le surplus […] a la saint Martin”. Chaque habitant payait le vicaire au prorata de ses biens “a raison des testes d’herbages que chacun jouirrat dans la montaigne […] se chargeant de plus tous lesdits habitants d’aporter audit Breulh chacun trois chars de bois pour son chauffage”. Jean Chanet – un brionnais commode – procura un logement au vicaire : “bailhe audit sieur Breulh la maison a luy eschue par le décès de François Chanet, son frère, pour y faire sa residence”.
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Mariage à la chapelle Saint-Jean-Baptiste de Brion (1708)
Jacques Golfier prêtre communaliste et vicaire de Brion, donne la bénédiction nuptiale à Michel Golfier de Brion et Catherine Martin de Marsol, en présence de Blaise Chabeaud, Michel Verdier, Michel Golfier de Brion et Jean Martin de Marsol. Jean Breulh, curé de Compains, signe l’acte.
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Mariage de François Ratat de Belleguette avec Françoise Antignatd’Auzolle,
paroisse de Saint-Alyre-ès-Montagne (1737)
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ABANDON DE LA CHAPELLE
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Denis de La Chassignolle, prieur commendataire de la chapelle de Brion
Après le décès de Jean Breulh, neveu homonyme de l’ancien curé de Compains et “paisible possesseur” de la vicairie de la chapelle de Brion, il fallut nommer un nouveau vicaire. Jean-Charles de Laizer, alors seigneur de Brion, nomme le 25 avril 1766, le prêtre Denis de La Chassignolle, doyen du chapitre de Vic-le-Comte où il réside et prieur de Rieu-en-Val, “ledit seigneur ayant trouvé en luy toutes les qualités nécessaires pour posséder et remplir la vicairie”.
Voisins de Compains, les La Chassignolle étaient sans doute connus depuis longtemps des Laizer. En 1689, âgé de 39 ans, François de La Chassignolle est seigneur à Chassagne, une paroisse proche du Valbeleix où il habite, aux portes de Compains. Ecuyer, il a été blessé au service du roi. Peu fortuné, il “declare ne tenir aucun fief et arrière-fief et requiert estre dispensé du service, attendu qu’il a un frère marechal des logis au service de sa majesté… s’estant épuisé d’argent pour le mettre en équipage ayant esté mesme obligé de lui avancer le revenu de deux ans de son bien”. Son descendant, Denis de La Chassignolle, né en 1730, est ordonné diacre par l’évêque François de La Garlaye. Ses parents, Antoine de La Chassignolle et Françoise Legrand, tenaient des héritages au Verdier dans la paroisse du Valbeleix et à Picherande, paroisse proche de Compains. Ils avaient constitué à leur fils un titre clérical de 80 livres de pension viagère fondé sur une maison et jardin confinés aux biens de ses parents, une hypothèque prise sur le domaine de ses parents dans le tènement de Chavessière et plusieurs champs sis au Valbeleix.
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Le prieur délaisse la chapelle, mais pas ses revenus
Inchangées, les obligations à remplir par le nouveau prieur commendataire de Brion étaient “de dire ou de faire célébrer dans ladite chapelle deux messes par chaque mois suivant l’usage ainsi qu’était chargé de faire ledit sieur Breulh et d’autres precedans chapellins”. Résidant à Vic-le-Comte, on pouvait penser que Denis de la Chassignolle choisirait de faire célébrer les messes par un autre officiant en se contentant de toucher les revenus des terres de la chapelle. Il n’en fut rien.
Quand il prend possession de la chapelle le premier mai 1766, Denis de La Chassignolle pratique les gestes rituels habituels : il visite les ornements, déclare à haute voix qu’il prend possession du sanctuaire et sonne les cloches de la chapelle “dont la corde pend au dehors”, signe que la chapelle était dotée d’un clocher-mur.
Le nouveau prieur bénéficiait dorénavant des revenus de la chapelle, fondés sur quelques terres. Ainsi, le 2 avril 1767, c’est à Jean Chanet qu’il afferme deux prés et dix têtes d’herbages sur la montagne des Amoureix. On vendra à Brion en 1803 un grand pré, dit le pré Chavany, “provenant de la chapelle de Brion”. Il contenait douze à treize journaux. Les travaux à la chapelle n’étaient pas à la charge des habitants. Ils devaient être effectués “aux frais et dépens du titulaire ou de ceux qui en perçoivent les bénéfices”, c’est à dire Denis de La Chassignolle. On va voir qu’il s’en gardera bien.
Les brionnais ignoraient que la chapelle Saint Jean-Baptiste vivait ses derniers jours, car après 1766, on n’y célébra plus. Denis de La Chassignolle n’avait aucunement l’intention – ni probablement les moyens – de réhabiliter la chapelle dont les terres continueront cependant à lui procurer des revenus. Lors de la visite pastorale de l’évêque François de Bonal en 1782, l’édifice était devenu si dangereux qu’on n’y célébrait plus depuis 16 ans, soit depuis la nomination de Denis de la Chassignolle qui s’était désintéressé de son entretien. Une fois encore l’évêque ordonna que soient faites les réparations indispensables dans un délai d’un an. Passé ce délai la chapelle serait interdite. Ce qui arriva. Pour la communauté des fidèles, la chapelle avait perdu toute réalité ecclésiale et ce, à cause de son prieur. Mais comment ?
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Le tour de passe-passe du prieur de Brion
Un quart de siècle plus tard, les sources nous dévoilent qu’à l’insu de ses ouailles, Denis de la Chassigolle, avait fait transférer les fondations de la chapelle Saint-Jean-Baptiste vers l’église de Compains. Un courrier adressé en 1790 par dix habitants de Brion aux députés du Directoire du Puy-de-Dôme et à ceux du Directoire de Besse leur remontre qu’on célébrait “il y a encore vingt cinq ans” des messes fondées tous les dimanches et fêtes et même certains jours ouvrés. Cependant, sans même prendre l’avis des brionnais, ni surtout sans les informer, Denis de La Chassignolle avait fait ordonner par l’évêque du diocèse de Clermont la translation de la desserte de ces fondations vers le curé de l’église paroissiale de Compains. Peu résignés à l’idée de voir disparaitre leur chapelle, les fidèles qui déploraient de se trouver “privés de cet agrément” se déclaraient prêts à payer pour son entretien. Au cas où La Chassignolle se refuserait à acquitter lesdites fondations, ils demandaient la nomination d’un nouveau chapelain.
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Persistance du besoin de secours spirituel chez les compainteyres
A quelques années d’intervalle, deux faits concordants viennent attester d’un besoin de soutien spirituel qui n’a pas faibli à Compains lors de la survenue de la Révolution. Alors qu’au bourg, les habitants avaient accepté en 1770 de voter un impôt exceptionnel pour refondre les cloches de l’église Saint-Georges, à Brion, les brionnais regrettaient leur chapelle qui alliait praticité pour les malades et les Anciens et secours spirituel pour toute la communauté villageoise. Privés sur place de célébrations, de baptêmes et de soutien spirituel au quotidien, les fidèles brionnais,réclamaient encore en 1790 un desservant et une chapelle dont ils s’affirmaient prêts à payer de leurs deniers la remise en état.
L’abandon de la chapelle n’exprimait donc pas la marque d’une baisse du sentiment religieux dans la communauté des habitants, elle manifestait l’expression du désintérêt – ou du manque de moyens – du prieur commendataire nommé par Jean-Charles de Laizer. A l’aube de la Révolution, ces comportements concordants révèlent clairement la persistance d’un fort sentiment religieux chez les compainteyres.
Bien que documentée à plusieurs reprises jusqu’à la Révolution, la chapelle n’est pas représentée sur la carte de Cassini réalisée vers 1760, alors qu’elle est pourtant encore desservie à cette date. Sans doute les pierres de la chapelle furent-elles dispersées longtemps avant la confection du cadastre de 1828 qui n’en signale même plus les ruines. Souvenons-nous enfin de la croix mystérieuse retrouvée à Brion, enkystée dans un buisson. La croix du clocher de la chapelle ?
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A SUIVRE
3 commentaires sur “– La chapelle disparue”
Denis de la Chassignolle né à Valbeleix vers 1729 reçu la tonsure le 16/04/1749 et la pretrise le 30/03/1754. Charles Godefroy de la Tour d’Auvergne, Duc de Bouillon le nomma au doyenné de Chapitre de la Sainte Chapelle du Palais de Vic le Comte, il y fut installé le 11/02/1754.Suite à la Révolution de 1789 il ne s’est pas soumis à la Loi d’Expatriation du 26/08/1792 et fut arreté en Avril 1793 enfermé au petit séminaire, il fut libéré le 17/06/1795. A sa sortie de Prison, il retourna au Valbeleix très malade. En 1802 les Vicaires Généraux le mentionnait comme pretre fidèle approuvé honorablement pour exercer le Saint Ministère. Domicilié à la Paroisse du Port il termina Chanoine Honoraire de sa Cathédrale ( ND du Port) Il mourut le 25/05/1808 à 79 ans.
Selon la généalogie connue, la famille de la CHASSIGNOLLE était alliée à de grandes familles Maison de VICHY, de la SALLE, de CHABANES et maintenue dans l’ancienne noblesse dite d’extraction par jugement de FORTIA 1665.
Une partie de cette famille résidait aussi à Picherande.
Que de travaux réalisés à la recherche des documents! BRAVO!
Cette croix et cette chapelle disparue à Brion … un sujet très intéressant.. à élucider!!!???
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