Compains

Histoire d'un village du Cézallier

La GARDE des seigneuries

 

 

aux marges du massif du Cézalier – XIIIe-XIVe s.

Bréon, Saint-Nectaire, La Tour, Dauphins, Mercoeur

 

 

CHATEAUX et LIEUX de GARDE

en périphérie du Cézalier

 

Belleguette, les Chastelets, la Tourette, la Garde, Beauregard

      Aujourd’hui encore, l’abondance des noms de lieux consacrés à la surveillance du territoire laisse deviner le système défensif dense organisé dans leurs châtellenies par les Bréon et leurs voisins proches pour assurer la protection de leur famille, de leurs biens et de leurs paysans.  Implantés sur des terres parfois conquises de haute lutte, parfois rachetées à des vassaux ou reçues dans des dots et des héritages,  ces grands féodaux, seigneurs multi-châtelains, “tenaient” une  mosaïque de territoires souvent disparates morcelés, discontinus et de statuts variés, qui rendait l’organisation de la défense compliquée dans une région de l’Auvergne peu peuplée et peu sûre.

      Placés à la tête de territoires immenses, les Bréon se considéraient – avant leur vassalisation par le dauphin – comme les seuls maîtres de leurs terres et ne dépendant de personne. Pour garantir leur sécurité, la protection et le refuge procurés par leurs châteaux étaient complétés par un dense réseau de postes de garde qu’on trouvait également développé chez leurs voisins proches, les La Tour, les Saint-Nectaire, les Chaslus et les Mercoeur.

La carte I.G.N. au 1/25 000 apportera un éclairage utile à qui voudra visualiser les informations contenues dans les trois volets de ce chapitre.

 

 

Un milieu où régnait l’insécurité

 

      Caractérisée par son isolement, la région des hautes Couzes est entaillée en tous sens par des gorges creusées de ruisseaux torrentueux et truffées de grottes où pouvaient s’abriter des gens sans aveu. Aux portes de Compains, les vallées du Sault (commune de Chassagne), de Courgoul et de Rentières étaient tapissées de forêts difficilement pénétrables et propices aux guets-apens. La forêt de Sault en particulier, dont le bois alimenta les fours des potiers de Lezoux, était réputée pour ses embuscades et une tradition encore bien ancrée au XIXe siècle la racontait hantée de brigands qui trouvaient dans les grottes du voisinage des caches sûres. Vers l’ouest et le sud, il fallait garder le chemin qui longeait le ruisseau de Clamousse réunissant Besse à Egliseneuve. L’Entraigue, très isolée, se poursuivait avec les gorges de la Rhue.

 

 

Seigneurs, châteaux et lieux de garde à

Compains et sur ses marges – XIIIe-XIVe s.

 

 

 

La HIERARCHIE des POUVOIRS en AUVERGNE

 

Anarchie en Auvergne

      L’effacement de l’autorité royale entre le Xe et le XIIe siècle laisse les familles seigneuriales des montagnes occidentales jouir d’une grande autonomie. Il règne alors une paix armée faite d’exactions et d’attaques contre les biens de L’Eglise et la féodalité se propage en Auvergne. Les féodaux pratiquent les “mauvaises coutumes”, dénoncées et combattues par l’Eglise. L’absence d’un pouvoir royal fort  laisse aux seigneurs toute latitude pour faire peser leur domination sur les ruraux qu’ils font entrer dans leur dépendance. Les alleux paysans (terres qui échappent à la dépendance féodale) deviennent alors des tenures concédées par le seigneur.

      Partout on voit se dresser entre Monts Dore et Monts Cantal les châteaux et maisons fortes érigés par l’aristocratie locale. Pour afficher son statut et préserver son pouvoir,  elle doit assurer la défense des territoires parfois immenses qu’elle occupe, relayée sur le terrain par de petits vassaux.

      Autour de l’An Mil, l’autorité publique passe aux mains des princes territoriaux. De grandes principautés territoriales se constituent au XIIe siècle. Puissant seigneur territorial, l’évêque tient une grande partie de l’Auvergne où il a des centaines de vassaux. A l’est de Compains, le Dauphin d’Auvergne tient château à Vodable depuis le XIIe siècle et ses biens à l’ouest de l’Allier dépassent largement la région aujourd’hui nommée Dauphiné d’Auvergne. Non loin, la famille de Mercoeur, puissamment possessionnée en Auvergne,  crée au XIIIe siècle face aux dauphins la ville nouvelle d’Ardes où se dresse l’un de ses châteaux. L’autorité des Mercoeur s’étend sur une grande partie du Cézalier central, en particulier à Saint-Alyre-ès-Montagne et La Godivelle, communes limitrophes de Compains.

      Vient enfin dans le premier quart du XIIIe siècle le retour d’un pouvoir royal fort. Philippe Auguste parvient à recadrer les belliqueux féodaux auvergnats et rétablit l’autorité royale sur la province d’Auvergne qui restera désormais durablement fidèle à la couronne de France.

 

La vassalisation

      Les barons souvent indociles  qui avaient jusque là gouverné leurs biens et leurs gens en ne dépendant de personne, sont vassalisés par les grands princes territoriaux.  Leurs alleux devenus fiefs, les Bréon sont contraints de rendre hommage en 1222 au dauphin pour leur seigneurie de Brion, bientôt suivis par les Saint-Nectaire et les La Tour. Pour leurs autres possessions vers Condat et l’Alagnon les Bréon rendent hommage à l’évêque ou aux Mercoeur.

 

Robert Dauphin d’Auvergne

BnF Ms 854 f°186

 

      Placés en sentinelle à Brion au sud-ouest du Dauphiné d’Auvergne et sur le pourtour du Cézalier, les Bréon doivent désormais tenir leur rang dans la stratégie défensive des dauphins au septentrion du massif. Interposés entre Dauphin et Mercoeur, il leur faut aussi le cas échéant composer avec l’évêque leur suzerain pour leurs terres de Condat, Mardogne, Ferrières et bien d’autres lieux de part et d’autre de l’Alagnon. En cas de danger pressant auquel ses vassaux n’auraient pu faire face, le dauphin peut saisir leurs châteaux pour en renforcer les défenses. Passée la menace, le dauphin restituait le château à son propriétaire.

      Cette structuration des rapports de force n’a laissé subsister aujourd’hui sur le terrain que les vestiges ultimes de plusieurs forteresses. Construits moins solidement que les châteaux, les nombreux lieux de surveillance ont laissé peu de traces matérielles visibles sur le terrain, si ce n’est parfois une motte ou un soubassement, au point que souvent, seule la toponymie témoigne encore de leur existence passée.

 

 

La GEOGRAPHIE des POUVOIRS à COMPAINS

 

La seigneurie de Brion et ses vassaux

 

      Très étendue, l’assise territoriale de la seigneurie de Brion s’étirait à l’est de La Meyrand au lac du Montcineyre à l’ouest, qu’elle outrepassait  jusqu’à la montagne de Cocudoux. Dans le prolongement de la Motte et du communal de Brion, les Bréon occupaient dans la paroisse de La Meyrand une terre dont une partie appartiendra aux seigneurs de Brion jusqu’à la Révolution. Au Valbeleix, on les trouve sur les hauteurs de Vauzelle et du Cheix, une terre donnée au prieuré du Valbeleix, dépendance de l’abbaye bénédictine de Saint-Alyre-lès-Clermont.

      A Compains, deux petits vassaux placés en limite de seigneurie rendent hommage aux Bréon. Guyonne de la Garde tient le lieu-dit la Garde au sud du château de Brion ; au nord, on trouve les chevaliers Robert puis Hugues de la Roche “alias de Larzalier” (dit aussi de Largelier, dans l’ancienne commune de Saint-Anastaise). Cette fragmentation du territoire qui dispersait les lieux de surveillance entre plusieurs familles nobles, assurait un contrôle plus efficace du vaste mandement de la seigneurie.

 

La petite seigneurie d’Escouailloux

      Esquisser les contours de la seigneurie de Brion au XIVe siècle conduit à découvrir qu’à Compains, les Bréon ne sont pas les seuls maîtres. Le fief haut-justicier d’Escouailloux est incrusté au centre de la seigneurie de Brion, peut-être après avoir été vendu par Maurin III en mal d’argent.

 

EN PERIPHERIE

 

      L’espace périphérique à la seigneurie de Brion est tenu par plusieurs grandes familles chevaleresques qui, comme les Bréon, sont à la tête de plusieurs châteaux flanqués par des lieux de surveillance.

      Au nord, les La Tour occupent “la grande terre de Besse”. Seigneurs hauts justiciers de la seigneurie du Valbeleix, les Saint-Nectaire tiennent à Compains et le château de une bande de terre qui va de Marsol à Jansenet et le château de Roche-Charles à l’est.

 

      A l’ouest, le long du ruisseau de Clamouse, une bande de terre orientée nord-sud, la terre de Cisterne (com. Egliseneuve d’Entraygues) est aux Chaslus d’Entraygues, vassaux des Bréon pour certaines de leurs possessions. Cisterne séparait la seigneurie de Brion de la seigneurie de Ravel (com. de Picherande) tenue par le puissant lignage des La Tour  qui occupaient une grande partie de l’Artense.

 

      Au sud, les Mercoeur sont à Saint-Alyre-ès-Montagne et La Godivelle et au sud-ouest les Chaslus d’Entraygues et les Espinchal sont vassaux des Bréon pour une partie de leurs terres.

      Comme les Bréon, ces familles ont mis en place dans leurs châtellenies du pourtour de Compains, un double dispositif défensif composé de six châteaux et d’une douzaine de lieux de garde.

 

BnF – La Poix de Fréminville

 

 

Les LIEUX de GARDE

 

      Où qu’on soit en Auvergne, et plus encore dans les montagnes, on craignait les guet-apens. Il fallait vivre sur ses gardes et être sans cesse aux aguets, du moins pendant la belle saison. Affirmation de l’autorité et de la protection seigneuriale, la forteresse était épaulée par un réseau de postes de guet. Ces points d’appui placés près des châteaux ou le long des chemins les plus fréquentés par les marchands étaient tenus par des manants ou, en période d’insécurité, par des soldats. En atteste à Compains et dans les communes voisines le nombre des lieux-dits  La Garde, Beauregard ou la Tourette, plantés sur les hauteurs isolées. Balisant les chemins. apparaissent les Chastelets ou la Gardette, dont la forme diminutive évoque un point d’observation sans doute plus modeste.

      Pour le paysan, se dispenser du guet avait un coût. Le devoir d’assurer “la guette” était pour les ruraux une obligation qui se trouva progressivement convertie en une redevance en argent durant le règne de saint Louis. Plus tard, Louis XI fixa le droit de guet perçu par les seigneurs à cinq sous payables chaque année par le paysan qui voulait s’en décharger.

      Sur le terrain, pour transmettre l’approche d’une menace, certains auteurs allèguent qu’on agitait des drapeaux visibles de loin, d’autres affirment qu’on soufflait dans une corne. Une troisième hypothèse consiste à dire qu’on allumait des feux, une pratique sans doute peu développée à Compains où le bois était rare. Chacun de ces moyens fut peut-être employé à un moment ou à un autre, selon les circonstances.

      Averti de la survenue d’un danger, encore fallait-il trouver un refuge. On bénéficiait alors de la protection du château le plus proche ou de l’abri offert par les bois du Montcineyre et les nombreuses grottes de la région.

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La documentation

      Les sources archivistiques qui étayent ce chapitre sont pour la plupart issues des Archives départementales du Puy-d-Dôme et en particuliers de deux cadastres napoléoniens établis il y a près de deux cents ans : celui de Compains publié en 1828 et celui du Valbeleix publié en 1827. Grâce à ces plans qui, il y a deux siècles, fourmillaient encore de noms de lieux relatifs au guet ou à la défense du territoire, on a pu retrouver des toponymes défensifs en grande partie disparus des cartes I.G.N. actuelles. Ce travail cartographique a été complété par d’innombrables observations faites sur le terrain pour localiser les lieux et retrouver le cas échéant des traces de ce passé. Trois mottes féodales ont été identifiées, celles de Largelier (lieu-dit “le château”, de la Tourette et de Belleguette. Inévitablement, compte tenu des lacunes de la documentation écrite médiévale, de nombreuses interrogations subsistent. Elles nous ont conduit à émettre des hypothèses, en particulier s’agissant des limites orientales de la seigneurie de Brion.

 

A SUIVRE avec :

La garde des seigneuries – Compains

La garde des seigneuries – Valbeleix et ses marges

 

 

 

 

 

 

 

 

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