Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– La maison du Cougny

LA MAISON DU COUGNY (Cureyre, com. Compains)

Localisation – Description – Histoire

Le Couny photographié en 1936 par André Boyer

Localisation de la maison

       Qu’on vienne du sud par le sentier pentu qui monte du bourg de Compains vers Brion ou qu’on sorte du hameau de Cureyre en direction du nord, on peut se rendre en un coin perdu nommé dans la langue du pays le Cougny, c’est à dire le coin. Là, à 1154 mètres d’altitude, totalement isolée au milieu de vastes herbages, on découvre à environ 900 mètres au nord du hameau de Cureyre, la maison natale de Jean Boyer (1866-1928), grand-père de l’auteure de ce site.

Le Cougny représenté sur les cartes

       La carte de Cassini (vers 1760) omet d’indiquer l’existence d’un bâtiment à cet endroit bien que les textes retrouvés montrent qu’un bâtiment agricole, sans doute une grange d’altitude, avait été construit avant 1745 au lieu nommé le Cougny.

       Le plan cadastral de 1828 et sa matrice localisent au nord de Cureyre un pré nommé la Plaine composé de plusieurs parcelles dont le pré du Cougny (parcelles 101, 102, 103) alors partagé entre Etienne Bouchy (101) et Antoine Boyer (102 un pré et 103 un bâtiment). La matrice du cadastre qui distingue les maisons des bâtiments confirme (comme le font parallèlement les sources) qu’en 1828 on trouve au Cougny un petit bâtiment agricole de plan plus ou moins carré et d’une superficie d’environ 64 mètres carrés.

Le Cougny, au nord du hameau de Cureyre – Source : Arch. dép. du P.-de-D.

La carte d’état major (1820-1828) fait apparaitre à son tour, sans toutefois le nommer, un bâtiment sis au Cougny.

De nos jours enfin, la carte I.G.N. Monts du Cézallier (oct. 2007, 2534 OT), mentionne toujours au Cougny une maison, aujourd’hui inhabitée.

Le Cougny – Tableau d’assemblage du cadastre (1828) – Source : Arch. dép. du P.-de-Dôme

Le Cougny aujourd’hui – Description

L’extérieur

       Orientée nord-ouest – sud-est, la maison du Cougny est adossée à une petite dépression du terrain qui l’abrite des vents dominants. Protégée par des murs épais et un toit pentu où l’ardoise a aujourd’hui remplacé la toiture végétale, c’est le type de maison-étable-grange caractéristique d’une exploitation moyenne où on pouvait hiverner une bonne vingtaine d’animaux. Eclairée d’une petite fenêtre, la pièce commune est contigüe à une étable où plusieurs fenestrous apportent une lumière parcimonieuse, réduite à néant l’hiver quand on bouchait ces ouvertures pour limiter l’infiltration du froid.

       Le rez-de-chaussée de la maison est surmonté d’une vaste grange à laquelle on accède de l’extérieur par un montoir qui fait face au mur pignon au sommet duquel n’apparait plus aujourd’hui la cheminée de la salle commune.

La porte de la grange a été décentrée pour laisser la place à la cheminée

L’intérieur

La pièce commune

       A l’entrée de la salle commune d’une trentaine de mètres carrés, on découvre près de la fenêtre une cheminée bien décrépite. Peu profond, l’âtre est surmonté d’un linteau de bois qui repose sur des piédroits peu visibles. Au fond apparait un volumineux contrecoeur, grosse pierre encastrée dans le bas du mur qui faisait office de plaque de cheminée. Dans l’épaisseur du mur sont ménagés deux cafinious. L’un servait à entreposer les cendres employées notamment pour la lessive, l’autre servait à ranger des objets.

Le Cougny – la cheminée

       Rarement au XVIIe siècle, mais plus souvent au XVIIIe siècle, on faisait préciser au notaire qui rédigeait les contrat de mariage que l’épouse devenue veuve conserverait “sa demeure dans sa maison, du côté de la cheminée”, là où il faisait moins froid.

Porte de communication entre la salle commune et l’étable

L’étable

       Les animaux hivernés vivaient en cohabitation rapprochée avec les cultivateurs durant les six longs mois d’hiver. Confinés dans l’étable, la tête orientée vers le mur, on leur distribuait la nourriture dans des mangeoires en bois qu’on peut fort heureusement toujours voir au Cougny aujourd’hui.

       Au centre de l’étable, une rigole recueillait les déjections du bétail. La pente du sol facilitait l’évacuation du lisier vers l’extérieur et tenait la salle commune à l’abri des infiltrations. Aussi est-il précisé dans certains contrats de mariage au XVIIe siècle, que la veuve bénéficiera de “la jouissance de trois brasses de bâtiment a prandre du coté hau de son estable”, c’est à dire du côté le moins pollué.

La grange

       A l’étage, une vaste et belle grange servait à remiser le foin qui nourrirait les animaux l’hiver, la paille de seigle pour l’entretien de la toiture et les outils agricoles. L’accès à la grange se faisait soit par le montoir extérieur, soit durant l’hiver au moyen d’une échelle intérieure placée dans l’étable. On peut penser qu’ici comme chez de nombreux cultivateurs des montagnes occidentales, on entreposait aussi dans cette grange un traineau de bois qu’on utilisait à la place des charrettes quand la neige bloquait les chemins.

Histoire du bâtiment puis de la maison du Cougny

        En 1665, la parra Escougny voisinait comme de nos jours avec celle dite la Plane (la Plaine), comme l’établit le texte notarial où Antoine Ribeyre seigneur d’Opme achète à Michel Chandezon la métairie de Cureyre. Tantôt mise en culture, tantôt mise en pâture, la parra du Cougny comptait 30 septerées (superficie qu’on ensemençait avec un septier, mesure à peu près égale à un hectolitre). Aucune construction n’est évoquée sur le pré d‘Escougny à cette époque.

Jean Boyer (1685-1745) et Catherine Verdier (1692-1739)

       Après un long silence, on retrouve la trace du Cougny en 1745, année où est établi l’inventaire après décès de Jean Boyer laboureur au bourg de Compains. Il est veuf de Catherine Verdier, fille de Jacques Verdier et Agnès Reynaud, des laboureurs de Brion. Le mariage avait eu lieu en 1708 en présence de Jean de Laizer, fils ainé de l’acheteur de la seigneurie de Brion. Femme robuste, Catherine avait mis au monde 16 enfants, dont cinq seulement survivaient en 1745 : une fille majeure et quatre enfants mineurs. Tous vivaient dans la maison familiale au bourg de Compains.

L’inventaire après décès de Jean Boyer (1745)

     En l’absence du juge de la châtellenie de Brion qui aurait dû procéder à l’inventaire, c’est Pierre Morin, lieutenant en la chastellenie de Brion et Compains qui pose les scellés et procède à l’inventaire.  La maison du bourg comprend salle commune, écurie, cave à fromages et grange. Jean Boyer laisse en outre à plusieurs kilomètres du bourg “un bâtiment construit au Cougny”.  Une “petite grange” avait donc été construite au Cougny entre 1665 et 1745.

Pierre Morin qui envisage d’aller inventorier cette  lointaine petite grange est dissuadé de parcourir le long chemin qui y conduit par les enfants et les parents du défunt. Il se contente donc de l’énumération faite sous serment “la main levée a Dieu”, du cheptel et des objets contenus dans la grange. Celle-ci était “ameublée” de 17 bêtes (vaches, bourrets, bourrettes), d’outils agricoles (char, tombereau, araire…) et de foin. C’est Michel Boyer, le fils ainé de Jean, qui hérite de la grange du Cougny. L’homme, un violent craint de tous dans le village, meurt en 1758. Ses méfaits sont détaillés au chapitre Crimes et châtiments.

En 1752, le Cougny, dit “maison et grange” de déffunt Jean Boyer semble habité à demeure.

Suit un nouveau long silence des sources durant lequel la grange du Cougny se transforme en chezal (ruine).

       En 1803, Antoine Boyer petit-fils de Jean,  a reconstruit “une grange couverte a paille” à la place du chezal du Cougny. Le bâtiment est à cette époque décrit dans les sources comme “une petite grange construite par Antoine Boyer sur le chezal situé dans le pré appelé Cougny situé dans les appartenances de Cureyre”.

        En 1836, on retrouve le pré (3 ha 37 a.) et la grange du Cougny dans la déclaration de mutation après décès d’Antoine Boyer dont les biens reviennent à son neveu homonyme, dit “l’héritier” , époux de Michèle Laporte.

Le Cougny dans la seconde moitié du XIXe siècle

       Antoine Boyer “l’héritier” et Michèle Laporte ont dix enfants. Ils font en 1859 une donation entre vifs de leurs biens à leurs neuf enfants survivants. Mais des biens suffisant pour un seul exploitant deviennent insuffisants divisés par neuf et la donation bienveillante des parents ne laisse à chaque enfant que de petits biens modestes, morcelés et insuffisants pour développer une exploitation viable.

Le sixième enfant, Antoine Boyer premier du prénom (un de ses frères cadets qui porte le même prénom, est dit second du prénom), arrière-grand-père de l’auteure, hérite de “la moitié d’une propriété composée de pré et parra sur laquelle se trouve un bâtiment composé de grange et étable appelé le Cougny et Plaine (n°100, 101, 102, 103 de la matrice) comprenant autour de 4 ha.”. L’autre moitié du bâtiment et des terres du Cougny est attribuée à son frère Pierre Boyer. Tous deux font valoir eux-mêmes directement leurs biens.

L’exploitation du Cougny par les deux frères sera éphémère. Antoine, peu avant son mariage en 1861 avec Marguerite Crégut (1845-1869), fille de Jean Crégut et Marie Eschavidre, cultivateurs à Cureyre, rachète la part détenue par son frère Pierre.

       Compains atteint à cette époque un pic de population qui ne sera guère dépassé. Cette pression démographique laissait Antoine devant une alternative : pour loger sa famille, allait-il construire une maison ou allait-il transformer la grange-étable du Cougny en rachetant la moitié détenue par son frère Pierre ? Cette seconde solution fut retenue. On peut penser que c’est en prévision du mariage que la grange a été transformée et dotée d’une salle commune pendant les deux années où les deux frères y cohabitèrent, un choix économique pour Antoine qui n’avait sans doute pas les moyens de faire construire une maison. Un tel cas de transformation d’une grange-étable en habitation apparait en 1848 dans le bail très précis passé par Maurice de Laizer à François Amblard, propriétaire habitant Escouailloux. Le bailleur exige que dans son domaine des Cibéroux composé de parcelles dispersées, le preneur fasse son habitation dans la grange-étable (matrice de Compains n°415).

La maison du Cougny comprend dorénavant “écurie, cuisine au rez-de-chaussée et grange par dessus”, autant dire qu’elle a l’aspect qu’on lui voit aujourd’hui.

       Mais pourquoi vouloir s’isoler au Cougny alors qu’il avait été convenu que les parents de Marguerite qui vivaient à 900 mètres de là à Cureyre devaient héberger les nouveaux mariés ?

       Le contrat de mariage de Marguerite stipule que Jean Crégut, père de la future, “s’oblige à recevoir chez lui la future épouse ainsi que les enfants à naitre du présent mariage pour y être logés, nourris et entretenus à ses frais et dépendance”. Antoine qui allait devoir “travailler de son mieux pour le compte de son beau-père” s’était réservé en contrepartie “six mois de chaque année pris dans la mauvaise saison pour les employer dans son intérêt personnel [il part en émigration hivernale] et le droit de travailler son bien personnel dont il se réserve aussi de faire de son produit ce que bon lui semble”. Le contrat balisait ce que chacun devait à l’autre, ce qui n’excluait pas la survenue de désaccords. Comme souvent donc, le contrat envisageait le cas d’incompatibilité entre les époux et les parents de Marguerite. En compartimentant la grange pour y créer une pièce commune, Antoine s’était réservé la possibilité de se replier au Cougny en cas de mésentente familiale. Ce qui ne manqua pas d’arriver.

       Des trois enfants de Marguerite et d’Antoine, l’ainé, un nouvel Antoine, naitra à Cureyre en 1863. Les cadets, Jean (1866) et Pierre (1868) “sortiront de la maison du Cougny”. Leur mère, Marguerite Crégut dite “cultivatrice au village de Cureyre” travaille avec ses parents en contrepartie de l’entretien qu’ils lui procurent. En 1865, Antoine “propriétaire habitant au Couny” étend ses biens dans la montagne de Barbesèche.

Vente et rachat du Cougny

       Une situation confuse s’installe alors brusquement. En mars 1867, Antoine vend le Cougny à son beau-frère Jean Chabaud, époux de sa sœur Anne Boyer. Le couple vivait à Estaliabot dans la commune d’Egliseneuve emménage au Cougny. Une cause possible de cette vente pourrait être qu’Antoine envisageait dès cette époque une émigration définitive. Mais la mort soudaine d’Anne Boyer à 33 ans au Cougny le 6 avril 1868 vient changer ces plans. Le 15 avril, Jean Chabaud reconnait devoir la somme de 1000 francs à Pierre Boyer son beau-frère, à prendre sur Jean Vallon et Anne Roux sa femme qui lui doivent davantage. Moins de trois semaines après la mort de sa femme, Jean Chabaud revend le Cougny à Antoine et part à Besse où on le retrouve “entré en service”.

       Les morts prématurées s’enchainent ensuite au Cougny. A 24 ans, Marguerite Crégut meurt à son tour  en 1869 suivie un an plus tard par son fils Pierre, âgé de 18 mois. A la mort en 1879 de “l’héritier”, père d’Antoine, celui-ci est toujours propriétaire cultivateur au hameau de Cougny. L’année suivante, il afferme le Cougny à Pierre Guérin, avant de résilier le bail quelques mois plus tard. Cette année là, la récolte ensemencée au Cougny avait produit “25 doubles décalitres de blé-seigle”.

Antoine Boyer doit vendre le Cougny

       En 1881, le recensement de Compains montre qu’Antoine habite au Cougny avec ses enfants : Antoine âgé de 18 ans, et Jean âgé de 16 ans (grand-père paternel d’Anne-Marie et arrière-grand-père maternel de Quentin et Hadrien) et sa belle-mère Marie Echavidre âgée de 73 ans, épouse de Jean Crégut.

Couvert de dettes peut-être consécutives à de mauvaises affaires faites en émigration, Antoine doit vendre le Cougny à Marie Tournadre du Crest en 1885. Devenu locataire de sa maison il continue à habiter le Cougny durant quelques années.

Emigration des fils d’Antoine

      Les deux fils d’Antoine quittent successivement le pays. Parti le premier, Jean le fils cadet à émigré définitivement en Picardie en 1890 quelques jours seulement après son mariage avec Annette Jourde de Boutaresse.

Annette Jourde et Jean Boyer (1911)

En 1890, le notaire bessois Pipet a racheté le Cougny, sans doute pour éponger les dettes d’Antoine. En 1891 cinq personnes vivent au Cougny. Après le départ de Jean, Antoine reste au Cougny avec son fils ainé homonyme qui a épousé Henriette Jourde de Boutaresse, soeur d’Annette. En 1894, Antoine, Henriette et leurs deux filles Marie et Antonine rejoignent Jean et Annette en Picardie où leur père viendra les retrouver plus tard. Mais ceci est une autre histoire.

       Le Cougny était habité en 1896 par Jacques Tartière cultivateur et son épouse Marie Martin, décédée à Ardes en 1974. En 1920, leur fille Jeanne-Eugénie Tartière vivait au Cougny, mariée depuis 1919 avec Alphonse Morin. C’est encore au Cougny que naquit le 16 juin 1920, Marie Octavie Marcelle Morin, leur fille.

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