Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– 1700-1719 : des années de misère au redressement

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Nouvelles “années de misère” pendant le “mini âge glaciaire

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      A l’intérieur du Petit âge glaciaire, bien identifié entre les années 1416 et 1850 environ, les historiens du climat ont mis en évidence pendant le règne de Louis XIV un “mini âge glaciaire” d’une trentaine d’année (1690-1715) dont on a vu précédemment les effets dévastateurs durant la décennie 1690 (voir le chapitre Misère à Compains au XVIIe siècle). C’est sur les deux décennies (1700-1719) qui suivent ces années de famine que nous nous pencherons ci-après pour tenter d’approcher les conséquences d’un nouvel évènement climatique à Compains, le Grand Hiver et son impact sur la démographie du village. Les années qui courent de 1720 à la Révolution seront abordées ultérieurement.

      Dans les Montagnes occidentales, la famine catastrophique des années 1690 avait éclairci les populations au point que les survivants avaient vu par l’effet des héritages leurs biens s’étendre et leurs revenus augmenter. C’est alors qu’allait s’achever sans trop de mal la première décennie du XVIIIe siècle que survint un nouveau “minimum climatique“. Un pic de froid polaire dévastateur fondit sur le royaume de France en janvier 709 et glaça les Montagnes avec son corollaire de crises de subsistance, de maladies et d’épidémies qui autorisèrent à nouveau les curés à déplorer une “année de misère”.

      Au final, c’est toujours la nature qui commande. On vivait dans la soumission totale au climat en des temps où nul ne relevait les températures ou le volume des précipitations. Confrontés à des évènements imprévisibles, la capacité de la communauté compainteyre à réagir aux contraintes imposées par la nature était nulle. Les montagnards, s’ils influaient peu alors sur le climat en subissaient cependant la rigueur à tous les niveaux : infections liées au froid ou maladies favorisées par l’absence d’hygiène, consommation d’eaux polluées, épidémies, mais aussi dégâts économiques, récoltes ruinées et bétail dévasté par les épizooties.

      On tentera ci-après d’établir une chronologie aussi serrée que possible des évènements météorologiques survenus à Compains, avec leurs conséquences de 1700 à 1719, années qui bornent ce chapitre. 

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1700-1708 – Le contexte avant le Grand Hiver

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      Les faits climatiques et épidémiques ne sont documentés que par peu de sources textuelles sans véritable continuité chronologique, ce qui rend ardu d’établir pas à pas et précisément l'”histoire des catastrophes” et de leurs conséquences au fil du siècle à laquelle nous consacrons ce chapitre.

      Au chapitre Misère à Compains 1690-1699, nous avions laissé en 1699 les baptêmes et les mariages en hausse alors que les décès subissaient une remontée.Qu’en fut-il à partir des années 1700 ?

      Durant les neuf années qui précédèrent le froid polaire de janvier 1709, les Montagnes occidentales virent défiler des “années communes” (normales), ponctuées de crises modérées (1705). L’éphéméride de la décennie montre un siècle qui commence assez bien avec des récoltes normales de 1700 à 1704. Après une forte tempête survenue en novembre 1703, l’année 1704 se révèle cependant trop pluvieuse. Le climat devient plus perturbé entre 1705 et 1708. Les grosses difficultés de l’année 1705 sont constatées par Vauban qui déclare “près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité et mendie effectivement : des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très peu de choses près, à cette malheureuse condition”. Médiocre, la récolte 1707-1708 ne remplit pas les greniers de stocks suffisants. Selon Emmanuel Leroy-Ladurie, (dit ci-après ELL), le Puy-de-Dôme voit durant cette période une augmentation des décès de 50 à 99% par rapport aux années 1700-1704, une observation qui se vérifie à Compains en 1705. Aux méfaits du climat s’ajoutent les épidémies. De 1701 à 1708 on subit la variole, le pourpre, des “fièvres”, sans plus d’indication sur leur nature, et des dysenteries après des étés chauds.

      A Compains, les années 1701 à 1704 furent effectivement peu mortelles avec de cinq à onze décès par an. Après une forte tempête survenue en novembre 1703, l’année 1704 se révèle cependant fort pluvieuse. Peut-être à cause des maladies contagieuses, la mortalité bondit à 19 décès durant l’année 1705, soit le triple des années précédentes, ce qui place les décès de 1705 (19) en deuxième position après le pic de 1709 (24) consécutif au Grand Hiver. On traverse alors un cycle de printemps frais et d’étés tantôt frais , tantôt trop chauds qu’il faut cependant considérer comme des années de répit avant le nouveau désastre climatique qui approche ; 1706 voit une courte retombée de la mortalité qui repart à la hausse dès 1707-1708 (14).

      Pendant ce temps, le royaume était en guerre. Alors que se profilait l’année 1709, le contexte était belliqueux. Les armées françaises, engagées depuis huit ans dans la guerre de succession d’Espagne (1701-1714), absorbaient une grande partie des surplus céréaliers qu’on envoyait aux frontières pour la subsistance des soldats. Quant aux bestiaux, leur exportation n’allait pas tarder à être gênée par l’épizootie qui sévira dans la région à partir de 1714.

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Le Grand Hiver 1709

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  • Une déferlante de froid polaire

      Bien que le climat ne constituât pas l’élément unique qui gouvernait la vie des montagnards, il en devint la préoccupation centrale, incontournable et mortelle dès l’avènement de l’année 1709. Le 6 janvier, les forces de la nature imposent leur loi quand éclate la dernière grande crise climatique du règne de Louis XIV : une déferlante de froid polaire s’abat durant trois semaines sur le royaume de France. Frappées vers 15 heures, les montagnes du sud du Puy-de-Dôme subissent la première des six grandes vagues glaciales qui allaient frapper la province. La chape de gel qui couvrit alors la France est à l’origine de récits hallucinants des contemporains. Humains, animaux, végétaux sont malmenés. On meurt de froid dans les lits. Les cultures sont réduites à néant. Les arbres fruitiers explosent. Dans les troupeaux c’est l’hécatombe. Pour les montagnards, en dépit de leur coutume de passer l’hiver au chaud près des bêtes dans des maisons aux murs épais protégés par la neige, le choc est rude et la mortalité explose à nouveau dans les montagnes.

      En quelques jours, les grains semés pour la récolte 1709 sont dévastés, gelés dans une terre imprégnée d’eau. Après la récolte insuffisante de 1708, la disparition de la récolte à venir annonçait une nouvelle famine. Voyant le prix du pain exploser, prévoyant la fin des réserves avant même la fin de l’hiver 1710, l’intendant écrit à Versailles le 29 août 1709 “vous entendrez parler de ce pays ci aux mois de janvier et de février [1710], la moitié du pays périra”. Sans stock de seigle suffisant pour passer l’hiver 1709-1710, l’intendant craignait que la population se trouve à nouveau rattrapée par la famine. Manifestement les mieux placés pour mesurer le drame vécu par leur paroisse, les curés parlent à nouveau d’“années de misère”.

      Le bouleversement de l’hiver 1709 ne dépassa pas la saison hivernale en dépit de pluies et des inondations  printanières qui suivirent. En France, ELL estime que les grands froids et la sous-alimentation ajoutèrent 600 000 morts à la mortalité qu’on constatait habituellement dans le royaume.

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  • Les leçons du passé : une administration plus efficace

      L’État avait été pris de court lors de la terrible famine des années 1690, si mortifères en Auvergne. Dotés de moyens d’action insuffisants, les intendants Maupéou et d’Ormesson s’étaient trouvés particulièrement démunis. Au siècle suivant, les moyens déployés pour faire face à l’importance du désastre vont se révéler plus efficaces pour limiter les dégâts. Ne fallait-il pas aussi éviter que des paysans désespérés ne se livrent à des “émotions” contraires à l’ordre public, alors que la spéculation aggravait la crise et que partout des mendiants envahissaient les villes.

      Sur le terrain, c’est Marc Antoine Turgot, intendant d’Auvergne de 1708 à 1713, qui dut faire face aux ravages du Grand Hiver. Atteint dans ses convictions humanistes, il déclarait “je suis outré de douleur de ce que je vois tous les jours ; l’humanité, je ne dis pas le christianisme, ne peut le supporter […] la ville de Clermont se voit envahie de deux mille misérables descendus, comme des loups, de leurs montagnes et qu’il fallut y renvoyer malgré la charitable intervention de l’évêque“. Quoiqu’on ne puisse exclure qu’il faille relativiser certaines plaintes, on ne peut voir ici la recherche d’un effet pour décrocher une réduction d’impôts au bénéfice de la province d’Auvergne. C’est bien la compassion qui s’exprime, on peut même dire le désespoir d’un représentant de l’administration royale qui se sent impuissant et voudrait avoir les moyens de lutter avec plus d’efficacité contre la détresse qui l’entoure.

    On ne savait que trop bien qu’une hausse du prix du pain entrainerait une hausse de la mortalité. Le démographe Louis Messance (1734-1796), auteur de  recherches sur la population de la généralité d’Auvergne, déclarera “par les différentes recherches qu’on a faites, on s’est procuré la preuve que les années où le blé a été le plus cher ont été en même temps celles où la mortalité a été la plus grande et les maladies plus communes”. On verra que ces constatations se vérifieront à Compains.

       L’affliction ne nourrissant pas son homme, les pouvoirs publics ne restèrent pas inactifs. Instruite par la famine du siècle précédent, l’administration royale sut prendre des mesures compensatoires efficaces pour soutenir la province. L’État, qui avait tiré des enseignements du passé, était devenu plus protecteur, mieux à même de réagir plus vite et plus efficacement pour organiser les secours. L’intendant chercha avant tout à limiter la spéculation sur les grains. On lutta contre les accapareurs sachant que les “usuriers en blé” étaient encore plus dangereux que les “usuriers d’argent” (d’Aguesseau). Il fallait assurer l’approvisionnement. Une “Déclaration du Roy” obligea ceux qui avaient des grains à en faire la déclaration exacte aux officiers royaux sous peine de sanctions, et ce, quelle que soit leur qualité et condition. Les importations de grains dans la province furent déchargées de droits d’entrée et on procéda à la visite des greniers pour débusquer les contrevenant et les sanctionner.

      Nul ne devait empêcher le passage des grains et des légumes qui furent déchargés de tous les droits qui se levaient habituellement sur eux. On supprima les droits sur les chevaux, charrettes et autres voitures qui se seraient trouvés chargés en grains, farines, pain, légumes, sous peine pour le contrevenant de se trouver contraint à restituer le quadruple. La liberté du commerce dut être respectée “à peine la vie”. L’administration royale, qui voulait manifestement tout mettre en œuvre pour empêcher la répétition des drames du siècle précédent, consentit en outre des remises d’impôts, notamment au profit des communautés villageoises sinistrées.

Source : Arch.dép. du Puy-de-Dôme

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  • Impact du Grand Hiver sur la démographie à Compains (1709-1710)

Forte mortalité

Les années 1709 et 1710 s’inscrivent dans une tendance dépressive commencée avec la mauvaise année 1705, tendance qui ne s’achèvera qu’en 1712. Pour mesurer le retentissement du traumatisme climatique de l’hiver 1709 sur la démographie du village, il faut se tourner vers les registres paroissiaux.

Les baptêmes restent élevés en 1709 (33 baptêmes). Ils correspondent à des conceptions de 1708 et n’ont pas subi l’impact de la froidure. Ils s’inscrivent cependant dans une courbe descendante qui se poursuivra en 1710 et 1711. La chute logique des baptêmes intervient en 1710. Leur nombre (24), est en baisse très nette comparé à la moyenne annuelle des baptêmes enregistrés entre 1700 et 1708 (34,5).

 

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      En attendant des jours meilleurs, les futurs continuent de différer leur mariage comme ils le font depuis 1707. La reprise s’amorcera 1712. Ceux qui ont malgré tout contracté, l’ont fait assez logiquement au dernier trimestre de l’année du Grand Hiver.

       Comme on pouvait le prévoir, les sépultures s’envolent et leur nombre (24) est le plus élevé des deux décennies étudiées dans ce chapitre. L’un des quinze hameaux de Compains, celui de Graffaudeix, remporte de loin la palme de la mortalité (7), cumulant à lui seul 29% des décès de la paroisse, sans qu’on sache précisément à quelle cause rattacher ce taux élevé, climat, épidémie ou population plus nombreuse et plus miséreuse que dans d’autres hameaux. On se souvient que Graffaudeix fera partie des hameaux qui seront attribués à la commune d’Egliseneuve à la Révolution.

      Les inhumations s’étalent tout au long de l’année mais plus du quart des sépultures (6) surviennent pendant les deux mois où le froid sévit le plus. On aurait pu s’attendre à pire et sans doute faut-il mettre ce fait au crédit de la relativement courte durée de la vague de froid associée à la bonne isolation des maisons des montagnes qui bénéficiaient de la proximité des bestiaux. Les dix mois suivants totalisent 17 décès. La cause profonde de ce nombre élevé de décès est donc moins la vague de froid que sa conséquence, la dénutrition qui fragilisa les organismes et favorisa la propagation des maladies. L’absence de réserves de grains fut aggravée par le manque de liquidités qui auraient permis de faire face à la fonte des semis en achetant de quoi semer des “mars”. S’il faut imputer le croît des décès, au froid conjoncturel, il faut aussi incriminer des causes plus structurelles comme la situation économique difficile des paysans qui, sans réserves alimentaires ni financières, survivaient à la merci d’aléas imprévisibles.

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  • L’âge du décès

      Indiscernable pour les enfants, l’âge de la mort des adultes est loin d’être systématiquement mentionné dans les registres paroissiaux. L’âge du décès manque dans 21% des actes entre 1700 et 1719 : en 1709 il n’est pas mentionné dans 8 actes sur 23. Quand il est indiqué, l’âge est souvent imprécis et le défunt est dit “agé d’entour…”. Les morts très âgés voient leur âge précisé car considéré comme exceptionnel. Ainsi un compainteyre décède-t-il en 1709 “agé d’entours cent ans”.

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Rebondir après la crise : “l’année des orges”

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      Alors que la balance entre production et consommation était devenue extrêmement défavorable. Au quotidien, ceux qui pratiquaient l’agriculture ancienne ne produisaient que pour leurs propres besoins, sans disposer de réserves. L’orge vint sauver les récoltes. La céréale, qui se semait au printemps, savait se contenter de terres des montagnes.  Pour établir rapidement les conditions de la reprise et compenser la disparition des semis en seigle, il fallait relancer des cultures. Dès le mois d’avril un arrêté royal autorisait tous les propriétaires, fermiers et laboureurs à semer à nouveau. On planta les “menus grains de mars”, orge, bled ou sarrazin sur les terres où la récolte avait été détruite par les gelées. Ceux qui le purent semèrent de l’orge dans les montagnes et 1709 devint “l’année des orges”. L’évènement est même relaté par Saint-Simon dans ses “Mémoires” : “les plus avisés resemèrent des orges dans les terres où il y avait du blé et furent imités de la plupart. Ils furent les plus heureux et ce fut le salut”. Comme les choses étaient simples pour Saint-Simon qui vivait dans l’opulence de Versailles ! Pourtant, comme on peut facilement le concevoir, tous ne trouvèrent pas leur salut dans les “mars” et tous les montagnards n’eurent pas de quoi financer l’achat des grains nécessaires à la réalisation de nouveaux semis. La récolte profita surtout aux mieux nantis qui seuls avaient pu, à l’improviste, trouver les fonds pour semer à nouveau une fois disparus les grands froids. La sortie de crise ne pouvait être immédiate et on allait devoir compter les victimes.

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1710-1719 – Ephéméride

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  • Des années précaires

      Les années en dents de scie qu défilent après le Grand Hiver ne laissent guère augurer de remontée positive avant la fin du règne de Louis XIV (1715). Les montagnes subissent des contrastes climatiques importants avec de fortes inondations, des sécheresses et toutes les maladies habituelles. Alors que le mini âge glaciaire va en s’effilochant, l’éphéméride des années 1710-1719 est principalement marqué par les maladies et les épizooties. Le froid polaire avait si peu éliminé les microbes qu’en 1710 la mortalité s’avère surtout épidémique avec, au printemps, la fièvre typhoïde et les habituelles dysenteries d’été et d’automne “la dysenterie caniculaire est bien l’un des considérables personnages de notre passé d’Ancien régime” écrira ELL. Le pourpre se répand, engendré par la misère et la mauvaise qualité des grains. L’année 1711 est pluvieuse et épidémique. Les mendiants sont légion au point que l’intendant d’Auvergne écrit au contrôleur général à Versailles que “les mendiants sont en si grand nombre qu’ils infectent l’air”. En 1712 une mauvaise récolte fait suite à une grande sécheresse. Le foin manque dans les greniers pour faire la jointure de printemps et les bêtes manquent “d’embonpoing”.

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  • 1713 – La supplie de Marie Grollier

      L’année 1713 subit les retombées de la mauvaise récolte 1712. L’intendant du Limousin déplore que cette année-là, les paysans mangent de l’herbe et du pain de fougères. Il est vrai qu’en 1788 on considérait encore le peuple comme un groupe à part dont “le palais plus grossier et l’estomac plus vigoureux se satisfont de tout ce qui est capable d’apaiser la faim” (Le Grand d’Aussy, Voyage d’Auvergne).

      A Compains, une famille a glissé de la pauvreté vers la  mendicité. Pierre Chandezon et Marie Grollier, parents de nombreux enfants, ne peuvent plus les nourrir depuis plus d’un an à cause de la hausse du prix du pain. Endettés, ils ont emprunté ici et là et ne peuvent plus payer le cens, ni la taille. Réduits depuis des mois à mendier, nul au village ne veut plus leur prêter de quoi nourrir leur famille. Reste un dernier recours prévu par la coutume d’Auvergne. Marie Grolier se résout à aliéner ses biens dotaux et envoie une “supplie” au seigneur. Avant de faire droit à la requête de la suppliante, Nicolas Fournier, lieutenant en la châtellenie de Compains, doit prendre conseil. Il réunit parents et amis de Marie Grollier pour recueillir leur avis. Après avoir prêté serment, les membres du conseil consentent unanimement à ce que Marie Grollier vende une partie de ses biens dotaux à concurrence de la somme de deux cents livres. Il fut donc fait droit à la demande de la requérante qui savait que, cette somme une fois épuisée, l’unique perspective serait la mendicité.

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  • Menaces sur l’élevage

      La liste des malheurs s’allonge. A la crise céréalière succède en 1714-1715 une crise épizootique qui frappe indifféremment toutes les races de bestiaux. Comme Besse, la paroisse de Saint-Alyre-ès-Montagne est touchée. L’épizootie se déclare simultanément à Saint-Alyre sur les terres des La Rochefoucauld et à Besse sur les terres du marquis de Broglie. A Saint-Alyre, 35% du cheptel bovin est décimé. Dans ces conditions, on peut penser que, pris en tenaille entre deux régions contaminées, le cheptel de Compains n’en sortit pas indemne. Les conséquences économiques furent catastrophiques : par suite de cette contagion, le ministre de la guerre limita l’achat de bestiaux en Auvergne. A l’épizootie s’ajouta une sécheresse exceptionnelle : “on n’a pas recueilli la sixième partie du fourrage qu’on avait coutume d’avoir ordinairement”, déclarait le subdélégué d’Aurillac.

      Marquant enfin un des rares points positifs du début du règne de Louis XV, un projet se profile dans la région : Marie de Broglie, épouse du seigneur engagiste de Besse, obtient en 1715 l’autorisation de créer un hôpital à Besse.

      Les dernières années de la décennie vont permettre de profiter de quelques récoltes normales, mais les années 1718-1719, très chaudes, favoriseront à nouveau le développement de graves épidémies. Globalement donc, sur la décennie, on observe une incessante succession d’années dépressives alternant avec une année de récupération.

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  • Des relations qui restent tendues avec le seigneur

      Il faut rappeler que le village n’était pas frappé que par la seule Nature et on nous pardonnera de compter le seigneur au nombre des vicissitudes qui affligeaient la paroisse.

      Si le poids du cens seigneurial allait en se dévalorisant, Compains subissait encore et toujours des traces vivaces de féodalité. On a montré à diverses reprises qu’après l’achat de la seigneurie de Brion par Jean de Laizer, l’intérêt seigneurial et celui des paysans s’étaient affrontés sur tous les plans : usage des communaux, création du Lac des Bordes, nombre trop élevé de moutons qui pacageaient la montagne, et jusqu’au curé qui traina le seigneur au tribunal où il fut condamné. Dans cet environnement déjà compliqué par le climat, les maladies et les épizooties, l’opposition seigneur-paysan renait dans les années 1710, attisée par deux conceptions opposées de l’utilisation des terres incultes. L’absence de consensus trouvera son terme en 1722 avec la spoliation des paysans de Brion qui perdront 25 hectares d’herbages au profit de François de Laizer (voir le chapitre qui lui est consacré et le chapitre Conflits autour des communaux). L’affaire contribua à paupériser une population déjà bien éprouvée.

      On reste dans l’incertitude quant à l’usage qui fut réservé par Laizer aux 25 hectares d’herbages soustrait aux brionnais. Son objectif en s’emparant des terres soutirées aux paysans aurait pu être de pratiquer à une plus grande échelle la culture des céréales en la substituant momentanément à l’élevage, fréquemment frappé par les épizooties. Une présomption que nos sources ne viennent ni confirmer, ni infirmer.

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  • Le ressenti des “peuples” pendant les crises

      On manque de délibérations communales où des indices permettraient d’appréhender les ressentis de la population. On voudrait que les comptes rendus des assemblées devant la porte de l’église à la sortie de la messe soient plus explicites. Pour ne rien arranger, le curé Breulh, à la différence de certains de ses homologues, ne chronique pas ses registres paroissiaux de commentaires afférents aux évènements du quotidien. Quand aux habitants, très majoritairement illettrés, aucun n’a laissé un texte ou – rêvons – un livre de raison qui aurait pu fournir des détails météorologiques ou un ressenti face aux catastrophes climatiques ou autres.

      On se soumettait à Dieu. On processionnait, on respectait les rogations et on faisait bénir le bétail avec l’espoir d’écarter ainsi les menaces de tous ordres.

 

 

COMPAINS – Aperçu démographique 1700-1719

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Recenser la population compainteyre : les sources

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      Pour renseigner les conséquences démographiques du climat, des maladies et des épidémies, deux ouvrages “statistiques” publiés par Claude Saugrain (1679-1750) ont été mis à contribution. On en tirera un dénombrement des feux (foyers) du royaume et une évaluation de la population des paroisses. Des chiffres sujets à caution. On dispose en outre de deux sources plus fiables qui émanent des curés de la paroisse : les déclarations faites par les curés aux évêques lors des visites pastorales et les relevés de baptêmes, mariages, sépultures (BMS) consignés dans les registres paroissiaux.

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  • Le Dénombrement de Saugrain publié en 1709 (chiffres entre 1680 et 1690)

      Claude-Marin Saugrain (16791750) publia en 1709 un ouvrage qui incluait des données démographiques sur le royaume de France. Intitulé Dénombrement du royaume par généralités, élection, paroisses et feux […]. Cette publication révèle notamment le nombre de feux (foyers) qu’on trouvait à Compains (il est couramment admis par la plupart des historiens qu’un feu comptait à peu près cinq personnes, à Compains, selon nos recherches, nous pencherons pour 6 à 6,5).

      Compte tenu de la date de la publication de ce document, les historiens du XXe siècle pensèrent que ces “statistiques” portaient sur le début du XVIIIe siècle, c’est à dire la fin du règne de Louis XIV. Aujourd’hui, les historiens démographes estiment que la date de ce dénombrement remonterait plutôt à la fin des années 1680-90, c’est à dire avant la terrible mortalité des années 1692-1695. Bien sûr, les chiffres de Saugrain doivent être examinés avec précaution et lui-même relativise la fiabilité du résultat du dénombrement qu’il publie : “on doit regarder le nombre de feux de chaque lieu comme plus curieux que sûr […], mais comme donnant cependant une idée approchant de sa consistance et de sa grosseur”. On n’oubliera donc pas que la fiabilité de ces chiffres est douteuse et qu’il faut les considérer comme des ordres de grandeur d’autant que le feu était une unité de mesure mal définie qui varia au fil du temps.

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  • Le Dictionnaire de Saugrain publié en 1723

      Saugrain publiera en 1723 un autre ouvrage intitulé Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne avec […] villes, bourgs, villages […], nombre d’habitants. Une des finalités de ce nouvel ouvrage n’était plus de compter les feux, mais de dénombrer, par paroisse, combien d’habitants vivaient dans le royaume. 

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  • Le nombre des communiants d’après les visites pastorales

       On dispose sur la période 1634-1727 de quatre visites pastorales. Ces inspections, malheureusement très espacées, ont fait l’objet de procès verbaux détaillés qui fournissent notamment l’estimation par le curé du nombre de “communiants” de la paroisse. En dépit du long intervalle qui les sépare, ces visites procurent sur l’importance de la population, de précieux renseignements  qu’il ne faut pas mésestimer.

      Enfin, les résultats des comptages que nous avons établis à partir des registres paroissiaux (souvent mal tenus) complèteront ces sources.

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Des feux de 1680-90 aux “communiants de l’année 1727

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      Sur le tableau qui suit, le nombre des feux recensés par Saugrain à Compains dans les années 1680-90 (182 feux) a servi de base pour chiffrer approximativement la population de la paroisse avant la famine. En appliquant le coefficient multiplicateur de 5 personnes par feu, une hypothèse basse semble-t-il à Compains, qui serait plus proche des 6 ou même 6,5. On obtient avec cette hypothèse basse une population de 910 habitants dans les années 1680, (1100 dans l’hypothèse haute), avant les deux fortes mortalités des années 1692-95 et 1709. Le tableau a ensuite été renseigné avec la population estimée par Saugrain en 1723 (818 habitants) et enfin avec le nombre des “communiants” déclaré par le curé lors des deux visites pastorales de 1700 (500) et 1727 (630).

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     On peut être d’autant plus enclin à faire confiance au curé que, bien placé pour connaitre ses ouailles, il pouvait enquêter discrètement et à l’insu même des habitants à l’occasion de ses incessants déplacements d’un hameau à l’autre pour donner les derniers sacrements. Pour  dénombrer la population de leur paroisse, les curés ne tiennent malheureusement compte que du nombre des communiants et éliminent de leur estimation les enfants en bas âge qui n’ont pas encore communié. Que recouvre le nombre de ces “communiants” à Compains, on ne sait. En supposant même que tous soient devenus communiants à douze ans, nous ne hasarderons pas une estimation du nombre des moins de douze ans d’autant que les curés n’inscrivaient pas dans leurs registres les enfants décédés avant cet âge.

      Les chiffres ci-dessus montrent, près de 30 ans après la famine et 15 ans après le Grand Hiver, que la population selon Saugrain en 1723 reste inférieure de 10% à celle des bonnes années1680-90. Les deux chocs climatiques ne sont pas encore résorbés. Sur la base des déclarations du curé, il n’en est pas de même entre 1700 et 1727 : les 500 communiants en 1700 (après la forte mortalité des années 1690), sont passés à 630 en 1727  soit une augmentation de 26% moins de trente ans plus tard.

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  • Une démographie en dents de scie

      Les comptages réalisés entre 1700 et 1719 dans les registres paroissiaux révèlent ci-dessous une démographie en dents de scie. A une “année commune” de rémission succède souvent une ou des années de crise. Les courbes, chaotiques, dévoilent une grande instabilité démographique caractérisée par un va et vient incessant entre des hauts et des bas. Les années 1708 à 1711 sont caractérisée par une chute des baptêmes et des mariages et par la hausse concomitante des décès.

La natalité, qui s’était montrée très dynamique entre 1700 et 1708 avec des pics au delà de 40 naissances, chute continument de 1708 à 1711. On ne dépassera plus la trentaine de baptêmes, à une exception près, l’année 1718 qui, avec 40 baptisés rappelle les bonnes années 1702, 1705, 1707. Mais en 1719 le nombre des baptêmes s’effondre (24) : c’est la plus mauvaise année des deux décennies.

La nuptialité connait des chutes importantes : la mauvaise année 1705, une dégringolade de 1707 à1711 et un seul mariage en 1716.

La mortalité connait dans la première décennie du siècle trois années qui laissent apparaitre un nombre de sépultures inférieur à dix correspondant aux années normales décrites plus haut, une tendance vite contredite par les trois pics mortels 1705, 1709 et 1717. Moins mortelle, la seconde décennie ne compte aucun pic à plus de vingt morts dans l’année. Il n’a pas été tenu compte dans ces chiffres des habituels “morts dans la montagne” quand ils étaient étrangers au village. Entre 1700 et 1719 on en compta neuf.

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Source : Arch. dép. du Puy-de-Dôme – Registres paroissiaux

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  • La mortalité avant 12 ans invisibilisée par le curé

       En dépit d’un arrêt royal qui, en 1714, avait intimé aux curés d’inscrire dans les registres paroissiaux tous les enfants décédés quel que soit leur âge, les décès d’enfants resteront les grands absents des registres jusqu’en 1737. Les registres paroissiaux sont donc mal tenus et aucun enfant de moins de 12 ans n’y figure. Pour la tranche d’âge suivante, celle de ceux devenus communiants, seule une dizaine d’enfants décédés entre 12 et 17 ans sont signalés par le curé entre 1700 et 1719. Ce petit nombre laisse à penser que tous n’ont sans doute pas été inscrits.

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  • Rares enfants illégitimes

      De 1700 à 1719 les naissances illégitimes sont rares et diversement qualifiées par le curé. L’enfant est dit soit “batard”, “illégitime”, “naturel”, ou même “de père inconnu”. Sur les 653 baptêmes enregistrés par le curé de 1700 à 1719, on ne compte que six enfants illégitimes.

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  • L’inconnue de l’émigration hivernale ou définitive

      L’incertitude domine quant aux chiffres de l’émigration. Ceux qui, par nécessité économique aussi bien que pour échapper à l’inaction durant les longs mois d’hiver, partaient en émigration hivernale, ne rentraient pas toujours au foyer. On ne mourrait pas toujours au village. Certains décédaient en cours de route, d’autres partaient s’installer dans une autre paroisse. D’autres organisaient leur disparition. Quelle qu’ait pu être la cause de ces non-retours, ils échappaient le plus souvent aux registres paroissiaux. Dès lors, bien que les chiffres des curés soient les “moins imprécis” dont on dispose, on ne peut déduire qu’une tendance de leurs déclarations.

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  • Une famille de laboureurs du bourg : Antoine Boyer (1685-1745 époux de Catherine Verdier (1692-1739) et leurs 16 enfants

      Laboureur au bourg de Compains, Antoine Boyer a épousé Catherine Verdier de Brion. Pourtant en bas âge, tous deux ont survécu à la famine des années 1690. Mariés en novembre 1708, quelques semaines avant le Grand Hiver, Antoine a 23 ans, Catherine 16 ans. Robuste, elle mettra au monde 16 enfants.

Les naissances s’enchainent à un rythme effréné entre 1709 et 1733 : mars 1709, août 1711, janvier 1713, décembre 1713, janvier 1716, mars 1717, août 1718, avril 1721, août 1722, 1723, 1724, 1726, 1729, 1731, 1732, 1733. Des enfants nés entre 1709 et 1722, seule une fille atteindra 22 ans, âge de son décès. Six enfants mourront en très bas âge ; deux autres décèderont avant 20 ans, l’une à 17 ans, l’autre à 18 ans.

Le taux de survie des sept enfants suivants est meilleur. Trois d’entre eux survivront à leurs parents et parviendront même à dépasser quarante ans. Une fille, qui restera sans postérité et deux garçons qui se marieront et auront des enfants. Quand Catherine Verdier décède à 47 ans en 1739, il lui reste donc trois enfants sur les seize qu’elle a mis au monde, soit un taux de survie de 19%. Quand Antoine Boyer meurt en 1745, à 60 ans, il laisse deux enfants mineurs dont nous suivrons ultérieurement la trace.

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Après le Grand Hiver, redressement démographique continu durant le premier tiers du XVIIIe siècle

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  • Les déclarations du curé Breulh

      Le redressement démographique de la paroisse est documenté à l’aide des déclarations du curé lors des visites pastorales. On a vu que les procès verbaux de ces visites, malheureusement trop rares, montrent une chute importante du nombre des communiants entre la visite de 1634 (700 communiants) qui nous sert de base et l’année 1700, date à laquelle il ne reste que 500 communiants après la famine. En près de 70 ans, le déficit de communiants atteint donc 28% en 1700. Plus du quart de la population communiante qui a disparu.

        Entre 1700 et 1727 on assiste à une lente remontée du nombre des communiants en dépit du pic de mortalité observé l’année du Grand Hiver. Ponctuée de crises, la remontée ne se démentira pas jusqu’en 1735. Partant de l’étiage de 500 communiants en 1700, le redressement est net en 1727 avec 630 communiants comptés par le curé, soit une hausse de 26% en 27 ans. Il faudra cependant attendre la visite pastorale de 1735 pour qu’après un siècle de vicissitudes, la population déclarée par le curé, 700 communiants, retrouve enfin le niveau qui avait été le sien en 1634. On notera que les chiffres du curé sont arrondis et qu’il faut de ce fait les considérer comme des ordres de grandeur.

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ÉPILOGUE

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      Que dire en guise de conclusion provisoire alors que nous n’avons parcouru dans ce chapitre que les vingt premières années du XVIIIe siècle ? Un siècle aura été nécessaire (1634-1735) pour “effacer” l’impact démographique négatif du règne de Louis XIV marqué par les guerres, des conditions climatiques catastrophiques assorties d’une terrible famine, un hiver polaire, des disettes et des épidémies de toutes sortes.

      La crise climatique de 1709 provoqua la première disette du siècle à Compains. Ce ne sera pas la dernière. Si les années qui s’étirent de 1710 à 1719 incitent à un relatif optimisme, confirmé par la remontée du nombre de communiants en 1727, on verra qu’elles ne marquent pas la fin des disettes en dépit des progrès de l’administration royale qui sait dorénavant mieux protéger les populations. Il faudra attendre la seconde moitié du siècle pour entrer dans des eaux relativement plus calmes, encore que non exemptes de crises elles aussi.

Enfin, il va sans dire que pour enrichir les tableaux de ce chapitre,  il faudra dépasser les frontières de notre village pour nous intéresser aux paroisses adjacentes de population comparable. Aussi ne faut-il voir ici que la première mouture d’un chapitre appelé à s’étoffer un jour avec des données sur quelques paroisses voisines.

A SUIVRE