– Les officiers seigneuriaux
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Comment une seigneurie fonctionnait-elle au quotidien ? L’esquisse qui suit a pour objet d’approcher l’administration quotidienne de la seigneurie de Brion, Compains et Chaumiane aux XVIIe et XVIIIe siècles. On découvrira ci-après des aperçus de l’activité des officiers seigneuriaux qui permettront d’approcher leurs interventions dans les domaines de la justice et de la police mais aussi de l’économie et de l’action sociale. L’éventail de leurs activités couvrait des domaines aussi variés que la nomination d’un tuteur, l’inventaire après décès, la surveillance du bétail lors des épizooties ou l’entretien des cheminées après un incendie. C’est principalement l’action des officiers seigneuriaux de la seigneurie de Brion qui sera examinée ci-après.
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De la justice seigneuriale à la justice royale
Au Moyen Âge, l’exercice de la haute, moyenne et basse justice donnait au seigneur un droit de vie et de mort sur ceux qui vivaient dans le ressort de sa justice et l’autorisait à dresser des fourches patibulaires où on pendait haut et court les gibiers de potence. Mais le gibet qui déchaînait les bagarres entre les gens des Bréon et ceux de Saint-Nectaire en 1328 a disparu depuis bien longtemps quand François de Montmorin – Saint-Hérem achète vers 1525 la seigneurie de Brion. Quoique ne rendant plus la justice, les Saint-Hérem et leurs successeurs les Laizer conserveront leur titre de seigneur haut justicier jusqu’à la Révolution. A Compains, sur le terrain, ce sont les officiers seigneuriaux qui officient, mais ils sont désormais privés des « cas royaux » essentiellement les affaires criminelles qui ont glissé vers la justice royale. Cet effacement progressif des justices de village pour les cas graves était dû à deux volontés : celle du roi qui voulait limiter le pouvoir seigneurial, mais aussi celle des seigneurs pour qui la justice avait un coût auquel ils cherchaient à échapper.
Lors des Grands Jours d’Auvergne (1666), on avait bien tenté de mettre au pas les seigneurs les plus voyous. Des ordonnances royales (1667-1670) réformèrent ensuite la justice civile et criminelle pour tenter de battre en brèche l’arbitraire seigneurial. Les particularismes inhérents à chaque justice seigneuriale durent alors laisser place à une uniformisation des procédures à laquelle furent censés se conformer les seigneurs. Pour ne citer qu’un exemple qui intéressait particulièrement nos ruraux, lors d’une saisie, on devait dorénavant laisser aux paysans un minimum de biens indispensables à leur survie : « une vache, trois brebis ou deux chèvres, un lit, un habit, les ustensiles et les bestiaux pour le labourage ». Dorénavant limitée, la justice seigneuriale subsistera néanmoins puisqu’on trouvera encore dans le royaume environ 50 000 justices seigneuriales [F. Gleize] lors de la survenue de la Révolution. Le plus souvent à Compains ce seront les affaires de police qui mobiliseront les officiers lors de violences déchainées par des excès de libations pendant les foires, le refus de consentir à l’impôt ou l’apparition d’un pacage indu sur une terre. Parfois, un plaideur se désistait, sans doute après avoir touché un dédommagement de la partie adverse. Souvent aussi, on préfèrera fermer les yeux en laissant le contrevenant « s’absenter » plutôt que d’entamer une procédure longue et coûteuse, sans même chercher à l’incarcérer à la prison mal cadenassée de Besse dont on s’évadait facilement (Voir le chapitre Crimes et châtiments). Face à ce relâchement, l’intendant d’Auvergne Bidé de la Granville déplorait en 1724 « il n’y a point d’année qu’il n’y ait des prisonniers qui s’évadent », au point qu’il décida dès son arrivée de faire établir un état des réparations nécessaires aux prisons d’Auvergne.
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Complexité du ressort des justices villageoises
La châtellenie de Brion, Compains et Chaumiane était loin de couvrir la totalité de la paroisse. Plusieurs justices se côtoyaient, chacune correspondant à une seigneurie différente. Dans les textes, les contours de la châtellenie – censés être bien connus – ne sont jamais précisés puisque nul n’en ignore dans la paroisse. Le mot fief n’est jamais employé non plus puisque, selon la coutume d’Auvergne, « fief et ressort n’ont rien de commun ». Ainsi, et pour ne rien simplifier, un seigneur qui avait besoin d’argent pouvait, tout en conservant sa seigneurie, en vendre la justice. Ce cas n’est pas rencontré à Compains.
Avant la Révolution, la complexité des justices à Compains était donc extrême et déterminer les contours de leurs ressorts enchevêtrés n’est pas simple dans la mesure où la paroisse était partagée entre plusieurs seigneuries. Seul le curé exerçait son ministère sur la totalité de la paroisse. Vivre à Compains ne voulait pas dire qu’on était jugé ou administré par les officiers de la châtellenie de Brion puisque c’était le lieu où l’infraction avait été commise qui déterminait la justice et donc les officiers seigneuriaux qui jugeraient l’infraction. Un habitant compainteyre de Marsol relevait de la justice des Saint-Nectaire seigneurs du Valbeleix dont relevait Marsol ; les villages des hautes terres de l’Entraigues étaient à la justice du seigneur d’Egliseneuve et, quoique inhabitée, la montagne de Joran avait sa propre justice, comme la petite seigneurie d’Escouailloux.
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Les OFFICIERS du SEIGNEUR ABSENTÉISTE GÈRENT « les peuples »
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Qu’est-ce qu’un officier seigneurial ?
Dans une Auvergne composé majoritairement de paysans illettrés, les officiers de la seigneurie étaient ceux qui, à Compains ou dans les paroisses environnantes, avaient pu accéder à l’écrit et aux études qui les avaient conduits à acquérir les connaissances juridiques indispensables. Ces officiers qui agissaient dans les seigneuries de montagne étaient, pour une bonne partie, issus de la paysannerie aisée qui poussait ceux de ses enfants les plus talentueux soit vers la prêtrise, soit vers les métiers du droit pour devenir licenciés ès lois ou avocats au parlement. L’achat d’offices par cette modeste élite rurale facilitait son ascension sociale vers la bourgeoisie.
Les paysans de la seigneurie de Brion voyaient rarement le seigneur qui, vivant loin de ses terres, devait déléguer à ses officiers de terrain le soin d’assurer la paix publique. Incarnation de l’autorité et de la surveillance qui devait s’exercer au quotidien sur la communauté villageoise, les officiers de seigneurie servaient d’intermédiaires entre le seigneur et les paysans pour maintenir le contrôle social dans les domaines les plus variés et en particulier la justice et la police dans une seigneurie qui pouvait se révéler turbulente. Censés défendre les intérêts du seigneur, mais aussi ceux de la communauté paysanne, ces agents de proximité chargés de maintenir l’ordre public tenaient entre leurs mains la majeure partie des rouages du village.
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Devenir officier seigneurial
On distinguait deux niveaux d’offices : les offices supérieurs (juge châtelain, lieutenant, procureur fiscal, dit aussi procureur d’office) et les offices subalternes (greffier, huissier, sergent, garde des bois). Quel que soit le rang du bénéficiaire, pour devenir officier seigneurial il était indispensable d’obtenir des lettres de provision d’office, acte royal par lequel un officier était pourvu de sa charge. La lettre de provision pouvait contenir des informations sur l’impétrant (avoir plus de 25 ans, fonctions remplies antérieurement, famille, titulaire précédent…). Une enquête préalable à toute nomination était diligentée : on examinait la bonne vie du « suppliant », ses mœurs et sa religion qui devait être catholique et romaine s’il voulait obtenir le poste convoité. Ce n’est qu’après avoir réussi cette étape « royale » que le seigneur pouvait envisager de donner ses propres lettres de provision à l’officier qu’il avait choisi. Il déléguait son pouvoir au premier d’entre eux, le juge châtelain ou, comme on l’écrivait dans les textes ambigus de l’Ancien régime, au « chatelain ». Chaque officier était donc choisi et révoqué selon le bon plaisir du seigneur maître des lieux. Un procureur du roi était commis par l’intendant d’Auvergne pour vérifier les lettres de provision, les actes de réception et l’installation des officiers. Lors de l’arrivée d’un nouvel officier, l’information était communiquée par le curé aux paroissiens lors du prône du dimanche.
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Officiers de génération en génération
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Originaires de Compains ou des paroisses environnantes, les officiers travaillaient parfois de génération en génération aux côtés des habitants de Compains et des villages environnants. Les juristes de la famille Morin à Compains, les Godivel à Besse, les Coyssard au Valbeleix œuvreront durant des siècles à Compains et dans les villages de montagne voisins.
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- Cumul et hérédité des offices
Dans les petites seigneuries des montagnes, l’officier seigneurial était peu rétribué ce qui l’incitait à étendre ses compétences sur plusieurs seigneuries en cumulant des fonctions au sein de châtellenies dispersées dans différentes paroisses. Ces cumuls personnels se traduisaient par exemple pour un même officier par être notaire et procureur fiscal à Compains et en même temps, lieutenant à Espinchal. Un rayonnement et un cumul qui mettait les officiers au courant de toutes les opportunité intéressantes et leur donnait le loisir de soigner leurs intérêts aux dépens de la population.
En outre, si l’officier pouvait cumuler les offices, la famille pouvait cumuler les officiers. Du fait de la vénalité des offices, c’étaient souvent des mêmes familles de laboureurs aisés que sortaient des officiers de tous niveaux. Conjointement avec les cumuls personnels, les cumuls intrafamiliaux abondaient, qu’il s’agisse d’officiers supérieurs ou subalternes. Une même famille pouvait tout à fait légalement truster plusieurs postes et profiter des opportunités qui se présentaient, achats de terres, de bâtiments ou autres. Enfin, après que les offices soient devenus héréditaires, l’officier qui avait su gravir les marches du pouvoir local put en faire profiter ses descendants et l’hérédité des offices se mit à remplir les caisses royales.
Au cumul personnel, au cumul familial et à l’hérédité de l’office, on ajoutera les mariages avec d’autres familles bourgeoises ou même nobles, on le verra ci-dessous. Cet état de fait créait une domination peu favorable aux habitants qui, majoritairement analphabètes, se trouvaient à la merci des familles les mieux instruites. Une ordonnance de la sénéchaussée d’Auvergne rendue le 7 juin 1757 cherchera à limiter ces cumuls en obligeant les officiers des justices seigneuriales à faire résidence, une injonction qui ne sera pas toujours suivie d’effet dans les montagnes.
Une famille, les Morin exercera sinon un monopole sur les offices de Compains, du moins ses membres occuperont-ils simultanément pendant deux siècles des offices à différents niveaux. Devenu notaire royal à Compains dès 1657, Jean Morin était dix ans plus tard « notaire royal et lieutenant au bailhage d’Auvairgnes et chatellenie de Compains et Brion ». Ses descendants cumuleront notariat et offices à Compains et dans les châtellenies environnantes. Avant de devenir notaire royal, Anthoine Chabru avait été « notaire ordinaire » (notaire seigneurial) et substitut du procureur ; son fils Jean Chabru sera un temps commis greffier. On appliquait la même stratégie chez les Coyssard au Valbeleix.
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- La double activité
Les officiers étaient révocables au gré du seigneur qui les rétribuait faiblement et souvent en nature. Peu rémunérés, même quand ils cumulaient plusieurs offices, ils devaient conserver parallèlement à leur activité officielle une activité complémentaire, commerciale – marchand de bestiaux – ou agricole. La plupart n’étaient pas exploitants directs et baillaient à ferme leurs biens.
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Endogamie et solidarité professionnelle
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- Les Morin Nabeyrat à Compains
Bourgeois ruraux, les officiers de seigneurie épousaient dans leur strate sociale. Né en 1675, Pierre Morin Nabeyrat épouse en 1699 en premières noces la fille d’un marchand d’Ardes, Toinette Viallard qui meurt en 1709 en laissant six enfants. Nabayrat se remarie rapidement avec Marianne Conches fille d’un marchand, bourgeois issu lui aussi d’une famille de juristes de Besse. De ce mariage naitront dix enfants. Tirés de cette descendance prolifique on peut citer Pierre Morin Nabeyrat époux d’Anne Eschavidre, procureur fiscal de 1735 à 1750 ; alors que Pierre Morin Nabeyrat est procureur d’office, Nicolas Morin Nabeyrat est notaire et lieutenant en la justice de Compains ; il se fait assister en 1752 de Jean-Baptiste Morin Nabeyrat, commis greffier né en 1728 qui deviendra procureur d’office et notaire à Murols ; il épousera en 1755 Marie Besseyre, fille de Françoise Chabaud et Pierre Besseyre notaire et procureur d’office au « Cheaix » (le Cheix à Saint-Diéry près de Murols), là encore, des bourgeois de Murols. Nous verrons ci-après qu’un officier de Compains épousera une noble, cas exceptionnel, mais pas unique.
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- Les Godivel à Besse
La description de la vie quotidienne à laquelle nous nous attachons ici est faite de détails souvent significatifs. Ainsi, lors de la mort en 1782 de Charles Godivel qui fut longtemps substitut de l’intendant d’Auvergne à Besse et un temps juge châtelain à Compains, apparait un cas de solidarité familiale et professionnelle qui attire l’attention. Éminent juriste mort sans postérité, Charles Godivel ajoute à son testament un codicille : il lègue tous ses livres de droit à son filleul homonyme dont le père, Guillaume Godivel deviendra à son tour substitut de l’intendant à Besse. Dans son testament, Charles Godivel exprime le souhait que Charles, son filleul, utilise les ouvrages de droit qu’il lui lègue et ce, de concert avec une autre famille de juristes, les Chandezon père et fils, tous deux avocats à Besse. Ce détail de la vie des juristes montre qu’une réelle solidarité – souvent déterminée par l’endogamie – était pratiquée entre certains hommes de loi bessois.
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MAINTIEN de la PAIX SOCIALE dans la SEIGNEURIE de BRION, COMPAINS et CHAUMIANE
des Montmorin – Saint-Hérem à la Révolution (XVIIe-XVIIIe siècle)
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Les officiers seigneuriaux tiennent les postes clés de la châtellenie de Brion
Le maintien de l’ordre et de la justice dans la châtellenie de Brion était donc dévolu à une cohorte d’officiers seigneuriaux. Nommés par le comte de Brion, ces agents de proximité travaillaient dans sa dépendance mais c’étaient eux qui tenaient entre leurs mains la majeure partie des rouages de la seigneurie. Ils connaissaient mieux que leur employeur toutes les arcanes d’une châtellenie où maintenir la paix sociale était rendu plus ardu du fait des nombreuses foires qui se tenaient à Brion.
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- L’exemple des Coyssard, notaires et officiers de père en fils (XVIe-XVIIe siècle)
Comme les Morin à Compains, les Coyssard originaires du Valbeleix, se succéderont dans les fonctions de notaires et d’officiers seigneuriaux à Compains et aux environs. Habitant le Valbeleix avant 1586, Jehan Coyssard était « notaire royal et lieutenant général de nos dites seigneuries desdits Bryon, Chaulmiane et Lameyrand » pour le compte de Gaspard Ier de Montmorin – Saint-Hérem. Après la mort de Gaspard, son frère Jean II de Montmorin – Saint-Hérem se rend en 1586 à son « chasteau de Compains », (une demeure au centre du bourg) afin de nommer Anthoine Coyssard, fils de Jean, « lieutenant général du fief et seigneurie de Brion, Chaulmiane et Lameyrand ». Habitant au Valbeleix, Antoine sera simultanément notaire royal au Valbeleix et bailli de Saint-Diéry.
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Jean II de Montmorin-Saint-Hérem nomme Anthoine Coyssard au poste de lieutenant général de la seigneurie de Brion (1586, extraits – Source : ADPD)
« Nous Jehan de Sainctheren » – Le texte est signé « Sainctherem »
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Le rayonnement d’une famille instruite ne se limitait pas à l’acquisition d’offices. Une même famille pouvait encadrer dans un même village le temporel et le spirituel. Ainsi voit-on en 1577 le fils cadet de Guillaume Coyssard devenu curé de Compains. Plus tard, on retrouve au bourg en 1624 un Anthoine Coyssard qui cumule la fonction de lieutenant en la châtellenie de Compains et celle de « fermier de la seigneurie de Compains » à lui affermée par Gilbert-Gaspard de Montmorin – Saint-Hérem. Autant dire que c’était Anthoine Coyssard qui tenait les rênes de la châtellenie. La coutume d’Auvergne qui stipulait « il doit etre égal pour le corvéable de faucher le pré du seigneur, par les ordres de son préposé ou par ceux de son fermier », incitait le paysan à obéir aux ordres des officiers seigneuriaux comme à ceux du fermier du seigneur.
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Le « juge châtelain » et son lieutenant
Le seigneur ne jugeait plus lui-même. Il était tenu de choisir et nommer un juge doté des compétences juridiques indispensables à l’exercice de sa fonction. Ce juge de proximité, dit « juge châtelain », souvent dit châtelain était le premier officier de la seigneurie. Pour défendre les intérêts seigneuriaux et ceux des habitants, le juge était secondé d’un adjoint, le « lieutenant », et d’un procureur fiscal (dit aussi procureur d’office). Des auxiliaires étaient recrutés à un niveau inférieur, un greffier, un huissier, un sergent et un garde des bois. Ainsi les requêtes étaient-elles adressées à « monsieur le juge chatelain ou a son lieutenant ». Ces agents seigneuriaux contribuaient au respect de la loi et de la coutume dans un village où les habitants, réputés « reveches » aux dires de l’intendant d’Auvergne, étaient parfois sujets à de soudains actes de violence. Le juge, qui pouvait se faire remplacer par le lieutenant ou le procureur fiscal, avait des attributions variées. Il veillait au prélèvement seigneurial, présidait aux enquêtes civiles et criminelles, auditionnait les témoins des crimes et des conflits, contrôlait le bon déroulement des foires, recrutait pour la milice et, entre bien d’autres tâches, veillait à la conservation des bornes. Les tâches de ces officiers couvraient un très large éventail qui nécessitait qu’ils soient la plupart du temps capables d’apaiser les difficultés relationnelles de la vie quotidienne en trouvant des accommodements.
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- Nomination d’un juge châtelain dans la seigneurie de Roche-Charles – La Meyrand
La seigneurie de Roche-Charles – La Meyrand était partagée entre le seigneur de Brion et le seigneur du Roquet, Anthoine de Pons, chevalier, qui résidait dans son château du Roquet. Après la démission de Pierre Melon d’Ardes ancien juge châtelain de Roche-Charles – La Meyrand, Anthoine de Pons nomma le 8 juin 1685 Joseph Blanc juge châtelain. Il cumulait ce poste avec celui de procureur d’office du duché de Mercoeur à Ardes, un office qu’il avait obtenu du duc de Vendôme le 10 juin 1682.
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- Le juge châtelain arbitre un conflit à Espinat (1513)
La première enquête d’un juge châtelain retrouvée à Compains concerne en 1513 un banal conflit d’estive, surgi entre les habitants d’Espinat. Conscients qu’ils surexploitaient la Montagne des Fraux, les paysans avaient demandé l’arbitrage de Moyne, juge châtelain alors employé par Jean de Montmorin-Saint-Hérem. Moyne était juge dans quatre hameaux dont Jean de Montmorin était seigneur : Chaumiane, Espinat, Cureyre et La Fage. Ces hameaux, qui comptent au nombre des premières possessions des Montmorin à Compains, étaient détenus par les Montmorin avant même l’achat vers 1525 de la seigneurie de Brion par François de Montmorin – Saint-Hérem.
A Espinat on contrevenait à la coutume d’Auvergne. Plusieurs paysans faisaient pacager dans les montagnes plus de bétail qu’ils ne pouvaient hiverner de leurs foins et pailles. Le juge châtelain, « après inquisition », arbitra entre les paysans et conclut à une double réduction indispensable : il fallut diminuer le nombre des paysans qui faisaient pacager dans la Montagne des Fraux et chacun dut en outre réduire le nombre de bêtes qu’il faisait pacager, arbitrage auquel se rallièrent les habitants.
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- Le juge et le lieutenant insultés à la foire (1653)
L’attention d’Anthoine Coyssard, lieutenant en la châtellenie de Compains fut attirée en 1653 pendant le déroulement d’une foire sur le foirail de Brion par ce qui aurait dû n’être qu’une banale altercation. L’affaire était en train de dégénérer en tumulte. Entouré d’une douzaine de complices armés d’épieux et de fusils, Jean Grossaud de La Meyrand s’était mis en tête de s’emparer d’une paire de bœufs qui, disait-il, lui appartenaient. En l’absence du juge châtelain, Anthoine Coyssard tenta bien de s’interposer pour stopper la voie de fait de Grossaud qui, manquant de respect au lieutenant, lui « faict responce d’une facon altiere et arrogante, la teste couverte…jurant le nom de dieu insollemmen ». Le lieutenant outragé rétorque « luy avons remonstré quil ne s’estoit jamais adressé a nous pour demander justice et que nous estions homme dhonneur la randions bonne a tous ceux qui la nous requeroient que n’avions jamais esté…tentés d’injustice… ». Comme on n’insultait pas impunément un officier seigneurial, Anthoine Coyssard dressa le procès-verbal de cette rébellion « luy ayant este reparty qu’estant paizan de naissance et de profession ne merité pas que les gendarmes luy fissent honneur de mettre la main a l’espée contre luy ». On remarquera le mépris qui s’exprime dans la réponse de l’officier à l’égard du rural. Survient alors François Plantade, juge châtelain de Brion qui se trouve menacé par le mousqueton du paysan qui mène grand tapage et déchire l’exploit de saisie des bœufs. Le procès-verbal fut communiqué au procureur fiscal qu’on chargea de démêler les véritables raisons de l’embrouille à l’origine de la révolte. L’affaire ne concernait plus seulement l’auteur des faits. Qu’un paysan, mousqueton en main, ait réussi a fédérer autour de lui une bande elle aussi armée pour faire justice lui-même sans en référer au préalable au lieutenant de la seigneurie pourtant présent, illustre que certains pensaient pouvoir faire justice eux-mêmes plutôt que d’en référer à l’autorité légale représentée par les officiers seigneuriaux. Emportement du moment ou défiance à l’égard de l’officier, on ne sait. Deux procès- verbaux furent dressés et transmis au procureur fiscal. Le contrevenant fut poursuivi pour avoir juré le nom de Dieu, manqué de respect aux officiers seigneuriaux, incité à l’émeute et tenté de voler une paire de bœufs avec port d’armes. On a déjà vu au chapitre Crimes et châtiments qu’on pouvait se rendre à la foire de Brion avec son épée ; ce fait-divers montre qu’on pouvait également s’y rendre armé de son fusil sans soulever la réprobation de quiconque dès lors qu’on ne menaçait personne.
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- Maçons contre maçons (v. 1750)
Des cas plus « légers » abondent, comme ceux des bagarres déclenchées par des assoiffés. Dans le cas d’une victime étrangère au village, il semble que le juge châtelain ne se mobilisait qu’à la demande expresse du plaignant. Jean Dupeyry, un maçon de la paroisse de Gioux dans la Marche, avait été victime en 1750 d’une agression perpétrée au bourg de Compains par deux autres maçons venus du même village marchois, ses collègues devenus des rivaux. Blessé lors de la bagarre, Dupeyry saisit par écrit le juge châtelain de Brion dans une supplique où il détaillait les sévices subis et réclama que justice soit faite. Le juge qui donna suite à la demande de la victime assigna à comparaître des témoins de l’agression non suspects aux parties ainsi que le médecin et le chirurgien qui avaient « pansé et médicamenté » le maçon. On ne sait si l’affaire se solda par un arrangement financier mais on avait alors fréquemment recours à ce type de conciliation pour mettre fin aux affrontements les moins graves.
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- Des enfants témoins de violences témoignent (1658)
La seigneurie de Largelier (aujourd’hui Larzalier dans la commune de Besse et Saint-Anastaise), appartenait en 1658 au seigneur de Brion. C’est donc Anthoine Coyssard alors lieutenant de Compains et Brion qu’on voit officier après des violences commises sur un paysan. Trois enfants âgés de dix et treize ans, des bergers témoins de l’agression, auditionnés sous serment, toucheront un petit défraiement en contrepartie de leur témoignage. Quant à l’auteur des voies de fait et des coups, il s’était dispensé de comparaître. L’affaire suivra son cours devant le baillage de Montpensier où les victimes feront défaut. Quant à l’auteur des faits, il sera contumace, comme souvent.
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- Dérogeance féminine chez les Laizer au profit du lieutenant en la justice de Compains (1707-1711)
Pour des raisons pécuniaires, qu’ils soient garçons ou filles, les cadets de famille nobles pouvaient être tenus de convoler hors de leur strate sociale. Le noble désargenté, souvent un cadet mais pas toujours, était contraint de subir un déclassement social en épousant une femme de petite naissance mais riche ou pour le moins issue d’une famille aisée. C’est ainsi qu’on voit dans la seconde moitié du XVIIe siècle Jean de Laizer seigneur de Lignerolles, habitant « Voudable » (Vodable) dans la paroisse Notre Dame de Ronzières, épouser Jeanne Chausseigne, fille d’une lignée d’officiers seigneuriaux de Vodable. Jeanne était la fille d’Anthoine Chausseigne, juge châtelain de Vodable et de Françoise Burin. Les Chausseigne resteront proches des Laizer durant des décennies. Le 30 juin 1706 c’était un autre « Jean de Laizer escuyer seigneur de Compeins », qui épousait à Compains Christine Boybeau, fille du bourgeois Barthélémy Boibeau et de défunte Christine Soucilier. Ils vivront même un temps à Compains. De telles mésalliances ne pouvaient s’expliquer que si le noble y trouvait un intérêt financier. Quant au bourgeois, il croyait ainsi s’élever.
Il était donc courant que des Laizer épousent dans la roture quand, après la mort de Jean de Laizer seigneur de Lignerolles, on mésallia sa fille Louise le 11 mai 1707 – avec l’autorisation de son oncle, Jean de Laizer, comte de Brion – en la mariant à Jean Morin, lieutenant en la châtellenie de Compains. Issu d’une famille aisée, le futur était le fils de feu autre Jean Morin notaire royal et lieutenant à Compains et de Marye Fauscher. On remarquera que, comme les Laizer, les Morin affectionnaient le prénom Jean, probablement pour complaire aux seigneurs locaux.
Le contrat de mariage entre Louise de Laizer et Jean Morin fut passé le 20 décembre 1705 en présence de l’oncle de Louise, Jean de Laizer, comte de Brion. On y expose que Louise est dotée de ce qu’elle « peut avoir, espérer et prétendre », formule employée couramment dans les contrats par les notaires, mais abstruse s’il en est et qui suggère que les affaires d’héritage des Laizer n’étaient sans doute pas réglées. Le comte de Brion se reconnait débiteur à l’égard de Louise de la somme de 1000 livres « provenant pour raison et a cauze de vray et loyal pret a luy faict avant ces presentes », probablement par le défunt père de la future. La somme n’engageait en rien le comte puisqu’elle ne serait payable au futur époux qu’ « apres le deces dudit seigneur par ses heritiers ». Dans l’immédiat, la promesse des 1000 livres valait surtout pour les intéressés à cause des 5% d’intérêt qu’ils devraient toucher chaque année en attendant un hypothétique paiement. De son côté, Jean Morin s’obligeait dans le contrat à offrir à l’épouse sa robe de noces, des « bagues et joyaus » pour la somme de 50 livres et, anticipant ce qui n’allait pas tarder à se produire, sa robe de deuil.
Six ans plus tard, le 20 juin 1711, quelques jours avant la rédaction de son testament, Jean Morin vendait à son épouse tous ses biens meubles, morts ou vifs, « chevaus et autres bestes qu’il laissera apres son deces », moyennant la somme de 40 livres que son épouse devrait employer à payer les dettes de son mari. Cette manœuvre réussira et évitera que la famille de Jean Morin n’hérite de lui s’il décédait avant sa femme, ce qui arrivera. Le même jour, Jean Morin reconnaissait avoir reçu de son épouse la somme de 1200 livres « tout en argent » provenant d’Anne de Laizer, tante de Louise. La somme correspondait au montant dû à Louise par Jean de Laizer dans le contrat de mariage. Lorsqu’il dicta quelques jours plus tard son testament le 3 juillet 1711 à un notaire de Besse, le lieutenant y confirmait la donation de 1000 livres faite au profit de son épouse et faisait des dons importants à l’Eglise à qui il donnait sa maison d’habitation tout en laissant l’usufruit à son épouse tant qu’elle demeurerait veuve. Jean Morin lieutenant de Compains mourra à 34 ans quelques jours après avoir testé après un mariage éphémère qui n’aura duré que cinq ans. On l’inhuma « au tombeau de ses ancêtres » dans l’église de la paroisse.
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- Recruter les miliciens (1743)
L’officier seigneurial pouvait parfois se trouver menacé, en particulier quand il s’agissait de recruter pour la milice. La population se montrait réfractaire à ces convocations royales qui soulevaient une franche opposition de la part des compainteyres. On ne savait qu’inventer pour se défiler. Certains disaient souffrir « d’incommodités », d’autres « sabsentaient » ou partaient en émigration. Quelques-uns se mariaient ou se faisaient remplacer. Alors que deux miliciens devaient être levés en 1743 à Compains, Charles Godivel, alors juge châtelain de Compains, fut contraint de se faire escorter par la maréchaussée quand il se rendit dans la paroisse pour y lire la convocation.
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Le procureur d’office ou procureur fiscal
Le procureur fiscal était aussi dit procureur d’office parce qu’il intervenait « d’office » quand un désordre quelconque se produisait. Homme à tout faire, il agissait en tant que ministère public pour la défense des habitants aussi bien que pour la défense des droits seigneuriaux. Établi auprès d’un seigneur haut justicier, le procureur veillait à la bonne application de la coutume d’Auvergne et à la collecte du cens du seigneur. Lors des foires de Brion, il assurait la police des estaminets et la vérification des poids et mesures. Comme le lieutenant, le procureur d’office devait être capable d’apaiser les difficultés relationnelles de la vie quotidienne en trouvant des accommodements, en résolvant les petits litiges et en assistant aux conseils de famille qui nommaient les tuteurs. On le voit par exemple à Compains veiller à ce que les tutorats ne défavorisent pas les orphelins, édicter des règlements de police ou procéder à des inventaires après décès. Il pouvait cumuler plusieurs offices et ne résidait pas forcément là où il exerçait.
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- Pierre Morin-Nabayrat procureur d’office (1735)
Habitant Compains, Pierre Morin-Nabeyrat briguait en 1735 le poste de procureur d’office de la seigneurie de Brion. Encore fallait-il passer le cap de l’enquête de bonne vie et mœurs. Après des ordonnances rendues le 15 mars 1735 par Fournier, juge châtelain de la châtellenie de Compains, un sergent dut se transporter aux domiciles du curé Jean Breulh et de son neveu Guillaume Breulh vicaire à Compains. Les deux ecclésiastiques étaient assignés à comparaitre le jour même devant le juge « pour porter sous serment bon et loyal temoignage de vérité » sur « la vie, les moeurs et la religion catholique, apostolique et romayne » de l’impétrant. Pierre Morin-Nabeyrat dut cocher toutes les cases de l’enquête puisqu’on le retrouvera procureur d’office à Compains durant une quinzaine d’années.
On connait depuis longtemps des Morin-Nabeyrat dans la région. Un prêtre du Cros travaillait pour François de Montmorin – Saint-Hérem en 1551 : « en présence de Pierre Nabeyrat, prêtre du Cros près de Lanobre, receveur pour le seigneur (François de Montmorin – Saint-Hérem) « et de Pierre Tardit pretre de Brion », François de Montmorin achetait alors des droits dans la paroisse de Lanobre en Artense. Le 30 septembre 1555, voilà Pierre Nabeyrat devenu curé de « Compens ». Plus tard « vénérable personne » maître Pierre Morin, dit Nabeyrat, prêtre habitant au lieu et parroisse de Compens fait une donation le 27 mai 1589 à son frère homonyme « honorable homme Pierre Morin dit Nabeyrat », habitant de Malsagne, hameau de Compains proche du chemin qui conduit du bourg à Brion, (cité par E. Tixier). La qualification « vénérable » pour le prêtre qualifie souvent un individu âgé et respecté. La qualification « honorable homme » pour Pierre Morin-Nabayrat montre qu’il occupait une position importante dans la seigneurie.
Rencontré à de multiples reprises à Compains, le patronyme Morin était répandu dans la région au XVIe siècle et – selon les bases de données interrogées – il pourrait trouver son origine au Limousin. La formulation « Nabeyrat » accolée au patronyme Morin, décelée du XVIe au XVIIIe siècle dans une famille de Compains, voulait probablement distinguer une branche des Morin d’une autre en la valorisant. Elle montre un attachement particulier au patronyme ou au surnom Nabeyrat, qui le rattache peut-être à un ancêtre particulièrement respecté ou qui aurait commis un acte remarquable, prestige que la famille tint à perpétuer durant au moins trois siècles.
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- La nomination de tuteurs (1743)
Diverses, les activités du procureur d’office pouvaient aussi concerner la protection infantile avec la nomination de tuteur ou la protection d’un enfant né hors mariage. L’importante mortalité qui sévissait encore au XVIIIe siècle laissait souvent des enfants mineurs sans soutien fiable. Ainsi, après la mort de Pierre Verdier, sa veuve Jeanne Suchaire resta tutrice de ses enfants. Remariée, elle se montra indigne de son rôle et se retrouva dessaisie de son tutorat après un conseil de famille et l’intervention des officiers seigneuriaux. Nicolas Fournier juge châtelain en la châtellenie de Brion, Pierre Morin-Nabayrat procureur d’office et Guillaume Besseyre greffier, firent procéder à la nomination d’un nouveau tuteur pour les enfants représentés par leur procureur, Nicolas Morin, qui se fit assister d’un sergent nommé Morin. La mère dessaisie du tutorat fut remplacée par les deux oncles paternels des enfants. Nommés tuteurs à sa place, ils durent prêter serment de s’acquitter fidèlement de leur charge.
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- La prévention de l’incendie (1786)
Les officiers seigneuriaux étaient également chargés de la police rurale. Ils devaient surveiller les bestiaux lors des épizooties et faire respecter les ordonnances royales sur la prévention des incendies, un travail difficile quand ils étaient confrontés à des paysans qui préféraient la plupart du temps tirer un coup de fusil dans la cheminée pour en éviter le ramonage ! Le 12 mai 1786, un terrible incendie avait réduit en cendres 25 des 38 maisons et bâtiments du village de La Godivelle. Tous les moyens avaient pourtant étés mis en œuvre pour réduire le sinistre, jusques et y compris « trente-deux pots de vin jeté dans les flammes » fournis par François Rahon, l’aubergiste du village. Plusieurs habitants étaient morts, d’autres avaient été gravement brûlés. Beaucoup se trouvaient réduits à la misère.
Après le drame, la réaction du procureur fiscal de la seigneurie d’Entraigues voisine de La Godivelle ne se fit pas attendre. Le procureur et le lieutenant civil, criminel et de police du baillage d’Entraigues ordonnèrent que chacun des habitants de la justice d’Entraigues serait tenu de remettre sa cheminée en état sous peine de dix livres d’amende. L’ordonnance lue au prône par le curé, fut affichée à la porte de l’église Saint-Austremoine d’Egliseneuve et en divers endroits de la paroisse. Bien qu’assortie d’une amende, l’ordonnance ne mobilisa pourtant pas la population, ce que voyant, le procureur fiscal décida alors de prendre son bâton de pèlerin. Accompagné d’un maçon, il se rendit dans tous les villages de la justice d’Entraigues pour y examiner une à une les cheminées et ordonna que ceux qui n’auraient pas fait les travaux de ramonage nécessaires n’auraient plus le droit d’allumer le feu dans leur maison. On ne sait comment fut reçue cette injonction, ni même si elle fut appliquée. Elle illustre cependant aussi bien la conscience du danger et la réactivité des agents seigneuriaux, que la passivité et le fatalisme de la communauté rurale face à un danger que chacun savait pourtant omniprésent.
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- L’inventaire des biens de Martin Vigier, curé de Compains (1747)
Deux jours après la mort de Martin Vigier curé de Compains, et en l’absence du juge châtelain Nicolas Fournier, c’est Pierre Morin-Nabeyrat procureur d’office de la justice de Compains et Pierre Chandezon, avocat en parlement, (l’avocat en parlement est titulaire d’une licence en droit, il n’exerce pas la profession d’avocat au parlement), qui se transportent le 17 novembre 1747 dans la maison curiale de la paroisse où le curé est décédé.
Assistés de Nicolas Morin, greffier, et accompagnés de Jean Vigier, le père du curé décédé qui se déclare héritier des biens de son fils, les officiers doivent établir l’inventaire sommaire des biens du curé « pour en éviter le divertissement et la frustration » et apposer des scellés dans la maison curiale. Les scellés sont apposés sur une « hormoire » au moyen d’une « bande de papier…attache par quatre bout avec de la cire du paigne rouge ou sont emprint le sceau de nos armes desquels scelles avons chargé ledit Vigier ». Le procureur d’office se met en quête des papiers officiels tenus par le curé : registres paroissiaux, papiers de la cure et divers objets religieux qu’il retrouve, non chez le curé, mais dans un espace qui sert de sacristie derrière l’autel de l’église Saint-Georges. Le tout est mis sous scellés aux armes du procureur en attendant l’arrivée du nouveau curé.
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- Infanticide à la Ronzière : un homme de loi doit suppléer les officiers seigneuriaux absents (1658)
L’affaire Anthonia Roux illustre à la fois la diversité des tâches qui attendaient les agents seigneuriaux et l’impossibilité d’établir un réel contrôle social au village. Sous l’Ancien Régime, les femmes célibataires devaient déclarer leur grossesse pour prévenir les infanticides qui pouvaient les conduire à la peine de mort. A Compains, les faits ont lieu à La Ronzière dans la justice de Saint-Hérem. En l’absence du juge châtelain et du procureur d’office, la communauté villageoise en émoi s’adresse à Antoine Chabru, ancien praticien (homme de loi) et notaire en la châtellenie de Brion et Compains. Chabru est alerté le 9 mars 1658 par « un bruit commun et rumeur populaire ». Les habitants insistent pour que soit recherchée d’urgence Anthonia Roux qu’ils soupçonnent d’avoir caché sa grossesse « témoignant par ce moyen en avoir quelque mauvais desseing ». La rumeur soupçonnait Anthonia d’avoir mis fin aux jours de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. Chabru se hâta de chercher des témoins pour le seconder dans son enquête. Il les choisit parmi les employés de Jean de Laizer : Anthoine Peyronnet, « agent et domestique de monseigneur », habitant de Groslier, Guillaume Billom » a présent demeurant dans une dite chambre dudit chastiau dudit Compeins », et Antoine Verneire qui cumulait les fonctions de « sergent et concierge dudit chastiau ». Rappelons qu’il était coutumier de nommer « chastiau » la bâtisse située près de l’église du bourg où le seigneur faisait halte lors de ses apparitions à Compains. Faute d’officiers seigneuriaux, la poursuite judiciaire dont Anthonia Roux va être l’objet faira donc intervenir dans un premier temps un juriste, des employés du seigneur et des habitants qui accusent la mère de l’enfant et son suborneur.
Interrogée lors de l’enquête, Anthonia Roux reconnait avoir mis au monde en secret un enfant né dans l’étable à l’insu, selon elle, de ses père et mère. Elle déclare qu’« ayant faict l’enfant elle l’a faict mourir lui ayant serré le gozier et l’auroit mis et jetté dans une paillasse enveloppé dans un linge ». L’enfant est en effet retrouvé dans « la fromagerie mort devant la porte de l’estable de son père ». Un chirurgien de Besse qu’on est allé quérir expose « que ledit enfant auroit esté estranglé et la teste luy auroit esté escrasée ». On décide d’incarcérer la malheureuse qui, n’étant pas en état de marcher, est placée par Le sergent dans une charrette qu’il enjoint à un habitant de conduire « dans la prison dudit chasteau de Compeins« . En dépit des ordonnances royales qui prescrivaient depuis le XVIe siècle que la prison devait être « saine et sure », ce qui tenait lieu de prison à Compains servait si rarement qu’on ne pouvait y placer la prévenue « et parce que le chastiau estant fermé et n’y ayant aucun locataire dedans, il [le sergent Anthoine Vernière] fust contraint la garder dans sa maison pendant cinq jours et cinq nuitz ». On notera le sous-équipement de la seigneurie pour incarcérer les contrevenants mais il est vrai que la justice avait pour le seigneur un coût qui faisait qu’on manquait d’insistance à poursuivre les criminels.
De retour dans la seigneurie, Antoine Coyssard, lieutenant de la châtellenie de Brion ouvre deux semaines plus tard une information contre l’infortunée Anthonia qui « estrangla son fruict ». Interrogée, la mère de l’enfant accable le père suborneur « disant que ledit Desserres [dit] Fanfare l’avoit subornée et seduitte luy donnant aussy conseil de faire mourir son fruict que si elle ne le faisoit il la ferait mourir sans rémission ». Sous serment prêté devant le sergent, plusieurs témoins accablent Anthonia, ses parents et le suborneur que plusieurs affirment avoir vu « le soir entre chien et loup en cachette se trainan de buisson en buisson à la faveur des rochiers dont la ville de La Ronzière est entourée ». Après qu’aient étés entendus neuf témoins, le procès-verbal et la plainte furent communiqués au procureur d’office et acheminés jusqu’à la cour de Saint-Hérem, sans qu’on connaisse la suite donnée à cette unique affaire d’infanticide retrouvée actuellement à Compains.
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- Alerte au feu à la foire (1747)
Lieu de convivialité, le foirail et ses tavernes louées au profit du seigneur à des débitants de boissons voyait fréquemment se dérouler son lot de violences et d’accidents. La fin des foires était parfois mouvementée comme en 1747 quand Nicolas Admirat, marchand hoste, (tavernier), habitant de la ville de Besse, vit s’enflammer sur le foirail de Brion la cabane que Louise de Miremont lui avait affermée. Admirat clamait connaître l’incendiaire malveillant mais la comtesse l’accusait d’avoir négligé la sécurité. Pour éclaircir l’affaire, Louise de Miremont n’actionna pas les officiers de Compains. Elle préféra externaliser l’enquête en s’adressant à Charles Godivel, juriste bessois qui deviendra en 1755 juge châtelain de la châtellenie de Brion. Le défense d’Admirat fut assurée par Nicolas Fournier, autre juriste bessois.
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Les agents subalternes : greffier, huissier, sergent, garde des bois
Dans une société aussi procédurière que la communauté villageoise de Compains, les agents seigneuriaux auxiliaires de justice étaient conduits à de fréquentes interventions. Ces petits officiers étaient recrutés par le seigneur ou par les officiers supérieurs ce qui laissait bien souvent la porte ouverte au népotisme et contribuait à renforcer l’influence de certaines familles.
Créés en 1707, les offices de greffiers valaient une somme modique. Le greffier établissait les comptes rendus des audiences et conservait les papiers et registres de justice. Ils travaillaient avec le receveur des tailles et organisaient les collectes.
L’huissier établissait notamment les actes d’ajournement. La survenue de la Révolution nécessita des adaptations, par exemple pour Michel Goigoux, huissier qui exerçait habituellement à Besse et Compains. Il dut postuler à nouveau en 1789 auprès de Guillaume Godivel administrateur du district de Besse, pour faire valider son poste d’huissier. Argumentant qu’il « exerçait depuis longtemps la fonction d’huissier de justice de Besse et Compains » il voulut être pourvu légalement pour la validité future de ses exploits.
Le sergent faisait du porte à porte pour signifier et faire exécuter les sentences « en parlant a la personne » concernée puisque, la plupart du temps, elle ne savait pas lire. Il faisait exécuter les sentences.
Les « gardes des bois », dits aussi « gardes chasse des eaux et forets » se trouvaient constamment confrontés à des contrevenants prêts à tout pour échapper à l’arrestation. Pour le compte du seigneur, ils surveillaient notamment la forêt du Montcineyre dont les bois très convoités étaient pillés sans retenue.
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- Pillage des bois du Montcineyre (1641)
Ainsi voit-on, le 9 août 1641 Jacques Chirol, garde des eaux et forêts de Gilbert-Gaspard, comte de Saint-Hérem, déposer une plainte auprès du procureur d’office. Disant que, s’étant rendu au Puy et bois de Montcineyre du côté de la Montagne d’Escoufort-Haut, il avait surpris le valet du sieur Brun de Besse qui dérobait du bois. Chirol avait été gravement blessé par le valet qui avait pris la fuite en abandonnant le bois coupé que les enquêteurs retrouveront. Interrogé, le maître du valet reconnut avoir envoyé son serviteur quérir deux charges de bois « avec deux cavales » dans la coupe d’Espinat où il était acensé, c’est à dire à Chaumiane, et ne pas lui avoir donné la consigne de couper du bois au Montcineyre. L’auteur du larçin fut assigné devant le juge.
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- Mort suspecte dans le lac du Montcineyre (1715)
Les registres paroissiaux de Compains, sous les signatures de Jean Breulh curé et Champeix vicaire, relatent que les deux ecclésiastiques durent ensevelir le 15 octobre 1715 monsieur Delbos retrouvé mort, noyé la veille dans le lac du Montcineyre. Delbos, qui demeurait chez le marquis de Saint-Hérem – à cette date le marquis d’Yolet seigneur d’Egliseneuve – fut inhumé à Compains en présence de Jacme Berger, fermier de Cocudoux, montagne proche du lac et de Pierre Maubert, garde forestier du seigneur de Brion.
Le lac du Montcineyre est un bel endroit, mais extrêmement isolé. Quand, encore de nos jours, on est monté jusqu’à ce lac, on ne peut qu’exprimer un certains scepticisme à l’idée qu’on puisse s’y noyer accidentellement ; on ne peut donc évacuer d’emblée l’hypothèse d’une noyade criminelle causée par un pilleur de bois qui aurait été pris en flagrant délit.
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MÉFIANCE ET CRITIQUES à L’ÉGARD DES AGENTS SEIGNEURIAUX
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Certains officiers seigneuriaux, sans doute considérés comme trop liés au seigneur, suscitaient la défiance des habitants, davantage semble-t-il au temps des premiers Laizer avec lesquels l’entente était difficile. Aussi, pour contourner l’agent seigneurial, certains compainteyres saisissaient-ils l’opportunité de faire eux-mêmes l’inventaire de leurs biens lors de la rédaction de leur testament. Il s’agissait d’éviter que l’agent seigneurial ne vienne faire lui-même l’inventaire après le décès et ne prenne une connaissance trop précise de l’étendue des biens du testateur.
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Le testament-inventaire après décès
C’est principalement par le biais des testaments-inventaires qu’on peut voir transparaître une certaine méfiance à l’égard des officiers seigneuriaux. Pour limiter les regards indiscrets portés sur leurs biens, certains révélaient leur défiance en préférant dicter eux-mêmes leur inventaire après leur testament, sans attendre que l’officier vienne l’établir lui-même. Rédigés quelques jours avant le décès, ces testaments -inventaires sont relativement rares puisqu’ils concernent la plupart de temps les habitants les plus commodes qui semblent répugner à révéler à l’officier seigneurial l’étendue de leurs biens. Dicter soi-même son inventaire à un notaire révélait la volonté du testateur que l’officier en ignore et avec lui, le seigneur. En l’absence du notaire, le curé pouvait exceptionnellement suppléer le juriste absent et faire parvenir prestement à Besse le testament-inventaire sans le communiquer au notaire du village. On peut évidemment soupçonner que la véracité de ces inventaires était douteuse et minimisait ou omettait la possession de certains biens pour protéger la famille.
Les testaments-inventaires après décès retrouvés au XVIIe siècle et dans les premières années du XVIIIe siècle, révèlent une défiance durable chez certaines familles, en particulier on la rencontre à deux reprises chez les Morin-Nabeyrat au XVIIe siècle. Méfiance à l’égard des agents seigneuriaux trop proches du seigneur, inimitiés personnelles, volonté délibérée de masquer l’étendue des biens, suspicion à l’égard de sa propre famille… on ne peut que conjecturer sur les motivations des testateurs.
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- Anthoine Morin-Nabeyrat (1627)
Après avoir dicté son testament en 1627, Anthoine Morin-Nabeyrat précise les conditions dans lesquelles doit se passer son inventaire « et affin que personne ne prenne autre et plus grande connaissance des biens que ledit testateur laissera le jour de son décès et qu’aucun inventaire d’iceux puisse estre faict par les sieurs officiers de la justice de Compains…ycelui testateur a faict luy meme et dit de sa propre bouche l’inventaire de ses biens tant meubles qu’immeubles, noms, biens, droits et actions… ».
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- Pierre Morin-Nabeyrat (1662)
A la génération suivante, la même méfiance s’exprime dans le testament-inventaire de Pierre Morin-Nabeyrat rédigé en 1662. Habitant du bourg de Compains, Pierre Morin-Nabeyrat est un gros laboureur, propriétaire d’un important cheptel vif composé d’un troupeau de 38 bovins, 13 brebis, deux « pourceaux » et quatre chèvres. Son mobilier est lui aussi conséquent avec notamment trois vaisseliers garnis d’objets en cuivre et en étain, une table, deux bancs, sept coffres. Outre l’équipement important qu’il détient pour gérer sa ferme, il possède 10 à 12 « bourniers » (ruches) pour les « mousses a miel » (abeilles). Dans son testament-inventaire rédigé en 1662 par Jean Morin notaire en présence du curé et de plusieurs témoins, il déclare vouloir faire lui-même l’inventaire de ses biens et montre sa défiance à l’égard des officiers du seigneur « affin que personne ne praine autre et plus grande connaissance des biens que ledict testatteur laissera le jour de son dessès et que autre inventère ne soit faict, décrete par messieurs les officiers de la jouistice de Compains…icelluy testateur a faict et dict luy mesmes de sa propre bouche l’invantere de ses dicts biens tant meubles qu’immeubles… ». En outre, le testateur « supplie et requete messieurs les oufficiers de la joustice dudict Compens dadioubter foy et rappourter a ceste sienne desclaration et de voulloir conffairer la nomination en la personne de ladicte Anna Barbat sa fame pour thutrice de ses dict enfans tous mineurs ». La difficulté, si l’inventaire était sous-estimé, était de le minorer avec suffisamment de modération pour que l’officier qui en prendrait connaissance puisse « y ajouter foy ».
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- Jean Morin-Nabeyrat (mort 7 avril 1689)
Sautons encore une génération chez les Morin-Nabeyrat. Jean Morin-Nabeyrat, laboureur aisé du bourg de Compains, fils de feu Pierre Morin et Françoise Morin, teste le 3 avril 1689. Sans recourir au procureur d’office, il nomme lui-même son frère Claude Morin-Nabeyrat tuteur de ses enfants et le charge de faire procéder à l’inventaire « devant le notaire qui bon lui semblera », sans désigner nommément Jean Morin pourtant alors notaire royal et juge châtelain de Compains et lieutenant du baillage d’Entraigues.
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- Jean Boyer (1705)
Dicté au notaire royal le 21 janvier 1705, le testament-inventaire de Jean Boyer, laboureur au bourg, laisse apparaître la même circonspection à l’égard des agents seigneuriaux lorsqu’il dicte son testament-inventaire. Moyennement « commode », Jean Boyer ne souhaite pas mettre sous les yeux d’un agent seigneurial les biens dont il dispose. Le notaire établit l’inventaire en se déplaçant de pièce en pièce et dévoile les objets indispensables à la vie quotidienne avec même quelques objets « superflus » en cuivre et en étain et une « armoirette ». A l’étable se trouve un cheptel vif important qui compte 25 bovins, 12 brebis, une jument et les outils agricoles nécessaires à la mise en valeur des terres. Jean Boyer exprime dans son testament le souhait « que personne ne prenne plus grande connaissance des biens que ledit testateur laissera le jour de son décès et que autre inventaire ne soit fait d’iceux par messieurs les officiers de la justice de Compains » et il prie les officiers « d’ajouter foy au parfait inventaire » quand ils le découvriront.
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- Louis Chabaud (1771)
Marchand d’Espinat, un des hameaux de Compains avant la Révolution, Louis Chabaud laissait en 1771 un héritage de plus de 1000 livres. Il avait contracté mariage le 9 février 1762 avec Marie Dubois dont l’aïeul, le notaire Claude Dubois avait été en 1744 juge-châtelain d’Espinchal et procureur d’office au Bladre, seigneurie de la paroisse d’Egliseneuve-d’Entraigues. Après la rédaction de son testament, Louis Chabaud tint à faire lui-même l’inventaire de ses biens, arguant que c’était à cause de la bonne connaissance qu’il en avait, sans dire expressément qu’il voulait en exclure un officier de sa famille. Pour tester et établir son inventaire, il s’adressera cependant à un notaire de Besse alors que des Dubois tiendront l’office notarial d’Egliseneuve entre 1713 et 1790.
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Des officiers seigneuriaux désavoués
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- Antoine Desserre juge châtelain de Brion, condamné (1710)
Les justiciables de la seigneurie de Brion n’étaient pas totalement dépourvus de moyens d’action face aux abus du pouvoir seigneurial, on l’a vu à quelques reprises. Aussi, quand un habitant qui s’estimait lésé avait les moyens de plaider contre lui, le caractère procédurier des habitants les poussait-il à agir. Dans le cas présent, l’action en justice vise le plus gradé des officiers, le juge-châtelain. En 1710, Anthoine Desserre, alors juge-châtelain de Compains après y avoir été lieutenant en 1701, se trouva poursuivi pour une injustice commise au détriment d’Anthoine Chanet, marchand commode à Brion. Desserre avait soutiré indument à Chanet au profit du seigneur un droit de lods et vente perçu sur un bien vendu par Chanet. Souvent élevée, cette taxe, qui pouvait atteindre jusqu’à 20% du montant de la transaction, était payée au seigneur à l’occasion de la vente d’un bien en censive. Or le bien vendu par Chanet ne relevait pas du seigneur et Chanet aurait dû être exempté du paiement de cet impôt seigneurial. L’arrêt rendu contre Desserre par la cour du parlement le 29 mars 1709, le condamna à payer la forte somme de 900 livres d’indemnités à Chanet pour avoir exigé abusivement cette taxe. Une transaction intervint entre les deux adversaires en présence de Jean de Laizer. Elle fut signée par trois curés, à l’exclusion des officiers seigneuriaux locaux, peut-être soupçonnés d’avoir eux-mêmes eu partie liée avec le juge.
On remarquera qu’il ne s’agit pas là d’une action de groupe comme on l’a vu dans l’affaire du Lac des Bordes (voir le chapitre Lacs et tourbières). Le plaideur, Jean Chanet, plaida seul. Or procéder au parlement coûtait cher et Chanet, quoique gros laboureur à Brion, devait être bien sûr de son droit et ne devait pas manquer de moyens financiers pour plaider ainsi contre le juge seigneurial.
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- Un procureur postulant déjugé (1742)
Dans le cadre d’un banal litige de pacage entre les habitants de Chaumiane et ceux de Marsol, Gilbert Fournier « procureur postulant en la chatellenie de Compains » où son père était juge châtelain, avait outrepassé le pouvoir que lui avaient donné les habitants de Chaumiane. En tant que procureur postulant (c’est à dire chargé de défendre les intérêts des personnes qui faisaient appel à lui), Fournier avait été chargé par les chaumianais de poursuivre « civilement » les contrevenants de Marsol. Saisi d’un excès de zèle, le procureur avait poursuivi « extraordinairement » et les habitants des deux hameaux s’étaient retrouvés embarqués dans un procès criminel « témérairement hazardé » par le postulant, contrairement à leur volonté. Remontée jusqu’au greffe criminel de la sénéchaussée de Riom, l’affaire si elle se’était poursuivie, aurait coûté cher aux deux parties. Fournier fut désavoué et les chaumianais se départirent de leur instance sans toutefois renoncer à leur plainte à l’encontre des marsoliens qui faisaient pacager leurs prés.
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La défiance inversée : le seigneur se défie du meunier (1706)
A Belleguette, Jean Admirat, meunier-laboureur au moulin de Péraud, affermait au seigneur depuis 1699 les dîmes de Belleguette et La Ronzière. En septembre 1706 Jean de Laizer seigneur de Lignerol vient surveiller la rédaction du testament-inventaire de Jean Admirat. Comme souvent, le curé, caution morale, est présent avec le notaire. Le 30 novembre suivant, c’est à nouveau Jean de Laizer-Lignerol qui assiste en personne à un différend entre Jean Admirat et son frère Michel qui le menaçait d’un procès. La présence seigneuriale dans ces deux cas de préférence à celle des officiers de la châtellenie, montre que les biens du meunier étaient particulièrement surveillés, d’autant qu’il affermait les dîmes inféodées et qu’il devait six livres au procureur général de la Cour des Aides de Clermont pour l’acense verbale d’un pré à Brion.
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EPILOGUE
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Une défiance qui s’estompe au fil du XVIIIe siècle ?
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Il est bien difficile de se faire une idée positive ou négative de l’action des officiers seigneuriaux qui oeuvrèrent à Compains durant les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, pas plus qu’on ne peut affirmer que la méfiance, probablement légitime, manifestée par certains, alla en s’atténuant dans les décennies qui précédèrent la Révolution.
Les actes de défiance sont peu fréquents rapportés à la masse des textes juridiques considérés. Ils concernent le plus souvent des laboureurs commodes, appartenant à la seigneurie de Brion mais aussi aux seigneuries voisines. Citons encore en 1658 les réticences de Jean Roux de Belleguette « affin que personne ne prenne autre plus grande connaissance des biens… et que autre inventaire ne soit faict… » ou de Pierre Martin de Marsol et d’Antoine Maubert d’Escouailloux en 1716. A contrario, en 1706, on voit que le testament de Jean Admirat, meunier-laboureur au moulin de Péraud à Belleguette, ne peut échapper à la surveillance seigneuriale.
Seuls des indices, péchés ici ou là, permettent de soupçonner l’insincérité de certains, qu’ils visent des intérêts personnels ou qu’ils soient actionnés par le seigneur. Passons sur le temps des Saint-Hérem, peu renseignés par la documentation. Venus les Laizer, quand les textes deviennent plus nombreux et plus explicites, il est manifeste qu’au fil du temps les seigneurs de Brion se satisfirent de la mainmise des Morin sur les offices. Pourtant, bien que légal, le cumul des fonctions d’officiers, et surtout son accaparement par une même famille, ne pouvait qu’être défavorable aux habitants. On le constate encore en 1752 lors du récolement des biens de Jean Boyer, laboureur à Compains ; ce ne sont pas moins de trois agents seigneuriaux issus de la même famille qui procèdent à ce récolement : « Nicolas Morin, lieutenant de la justice de Compains et Brion assisté de Jean Baptiste Morin que nous avons pris pour commis greffier le serment par lui pris et reçu au ca requis avec Pierre Morin-Nabeyrat procureur d’office de ladite justice ». On ne peut nullement affirmer que le récolement en fut biaisé, mais un tel accaparement des postes d’officiers par une même famille n’augmentait-il pas exagérément leur influence au village ?
Les juristes se disputaient-ils les offices seigneuriaux ? La plupart du temps, c’est le notaire royal de la paroisse qui occupait quelques postes d’officiers à Compains et dans sa région. Sous les Montmorin – Saint-Hérem les offices et le notariat étaient tenus par des juristes de la paroisse du Valbeleix (Coyssard, Plantade, Guérin…), peut-être faute de juristes suffisamment qualifiés à Compains. Dans les premières années du XVIIe siècle on trouvait à Compains les notaires Blanchier (en 1599 notaire et greffier à Compains) et Dutuel (en 1592 notaire royal « au mandement de Compains et Brion ») dont on ne sait rien pour le moment, puis vint Chabru, dit « notaire ordinaire »(seigneurial) qui deviendra notaire royal dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Cumulant notariat et postes d’officiers, les Morin « règneront » sur le notariat royal puis public à Compains dès le XVIe siècle puis des années 1650 aux années qui suivirent la Révolution, parfois concurrencés par des juristes bessois. Les exceptions concernent Antoine Dessèrre qui officia en tant que lieutenant puis juge durant une trentaine d’année à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, Michel Sabatier qui rayonna dans plusieurs seigneuries, Nicolas Fournier, lieutenant, procureur d’office puis juge châtelain. La diversité des familles s’affiche davantage dans les offices subalternes.
Alors que dire des officiers seigneuriaux à Compains sous l’Ancien Régime ? En l’état de la recherche, il serait prématuré de dénigrer ou d’affirmer la valeur des officiers à Compains. A peine pourrait-on dire que le cumul des offices fait qu’ils sont rarement présents quand on a besoin d’eux. Les données sont peu explicites pour approcher la réalité de l’exercice de leur activité dans une châtellenie habitée par des paysans qui pouvaient se révéler peu amènes et, qui plus est, agitée par le tourbillon fréquent d’une dizaine de foires chaque année. Conséquence de ces foires, l’attention des officiers de Compains fut forcément davantage portée à la surveillance du village et au maintien de l’ordre que leurs homologues qui oeuvraient dans une châtellenie moins exposée au passage et à la concentration régulière d’une forte population d’étrangers au village.
On suivra de façon plus détaillée l’action de certains officiers dans deux chapitres à paraître ultérieurement. L’un approchera la stratégie du notaire et officier Jean Morin dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’autre sera consacré à des évènements survenus dans la famille Boyer au XVIIIe siècle.
Concluons donc provisoirement comme le firent les Grands Jours d’Auvergne en 1666, pour dire qu’à Compains, il ne ressort pas des textes retrouvés actuellement que le juge châtelain ou ses assistants aient jeté « la justice dans le mépris ». Venue la Révolution, la vénalité des offices sera abolie et le juge de paix succèdera aux officiers d’Ancien Régime.
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A SUIVRE
Un commentaire sur “– Les officiers seigneuriaux”
Bonjour,
Je suis tombé sur cette page alors que je cherchais des informations générales sur les Officiers Seigneuriaux. Vous avez fait un excellent travail, très sérieux et d’une lecture agréable!
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