Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– Les BREON et l’EGLISE

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Des relations parfois heurtées

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      Contrairement à ce que nous pouvons observer aux époques moderne et contemporaine, l’histoire médiévale de Compains se résume pour l’essentiel à celle de ses seigneurs. Cette courte synthèse de notre ouvrage sur les Bréon illustre à nouveau que rares sont les textes avant la XVIIe siècle où se fait jour la vie des paysans de Compains.

      En des temps où la piété imprégnait tous les esprits, les Bréon paraissent avoir été le plus souvent – mais pas toujours – de bons chrétiens. Rares furent ceux dont les textes permettent d’affirmer qu’ils furent d’Église et les sources retrouvées montrent qu’à chaque génération la vie militaire semble avoir eu leur préférence. Alliant la religiosité et l’engagement guerrier, leur tradition familiale voulut qu’on se croisât quasiment sans interruption durant deux siècles. Plusieurs feront le voyage d’outre-mer à l’image de leur ancêtre prestigieux, Armand de Bréon, réputé avoir perdu la vie en 1103 à Tripoli lors d’une arrière croisade de la première croisade impulsée en 1095 par Urbain II. S’agissant des rares cadets qu’on est parvenu à déceler, il n’apparait que rarement une prédilection marquée pour le cléricat, vide apparent qu’il faut sans doute imputer à des sources trop rares. Pourtant, on verra que certains n’échappèrent pas aux comportements du temps, pratiquant parfois les “mauvaises coutumes” que l’Église cherchait à sanctionner à son profit.

      Nos sources proviennent majoritairement des Archives départementales du Puy-de-Dôme, du Cantal et de la Bibliothèque du Patrimoine.

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  • Des châtellenies dispersées dans deux évêchés à partir de 1317

      La presque totalité des biens des Bréon – dont les seigneuries de Brion et Mardogne – resta située dans le diocèse de Clermont après la création en 1317 du diocèse de Saint-Flour, considéré par certains comme “le plus crotté de France”. Passée cette date, quelques-uns des biens les plus méridionaux des Bréon se trouvèrent répartis dans les deux diocèses, sans qu’on puisse en induire que l’arrivée du nouvel acteur régional, l’évêque de Saint-Flour, ait généré des changements conséquents pour les seigneurs de Brion autres que de devoir hommager le nouvel évêque pour leur demeure de Saint-Flour et pour leurs biens disséminés sur la planèze au sud de l’Alagnon.

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  • A Brion : les seigneurs de Brion nomment le vicaire de la chapelle Saint-Jean-Baptiste

      La chapelle de Brion était vouée à Saint-Jean-Baptiste, ce qui indiquerait qu’au moins aux origines, elle ne fut que baptismale. Comme le feront leurs successeurs jusqu’à la Révolution, les seigneurs de Brion nommaient les desservants de cette chapelle.

      La première trace d’un prêtre  de la chapelle de Brion se dévoile dans les textes notariaux. Johannes Bohery est prêtre de la chapelle de Brion en 1347 quand il vend à Maurin III de Bréon sa maison et quelques biens situés près de la muraille du château. San doute le religieux mettait-il fin à son ministère à Brion, hypothèse qui parait plus recevable qu’un déplacement de la demeure du religieux pour améliorer la défense du château, sachant que la guerre de Cent Ans n’atteindra véritablement l’Auvergne que dix ans plus tard, sachant aussi que Maurin était lourdement endetté à cette époque.

      La tradition de faire nommer le desservant de la chapelle de Brion par le seigneur local se poursuivra jusqu’au XVIIIe siècle.

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  • Le curé de Compains nommé par le prieur de l’abbaye de Bort (Limousin)

       L’évêque de Clermont ne nommait pas tous les prêtres chargés d’assurer le soin des âmes dans les paroisses. Ce droit de présentation du curé pouvait être exercé par une abbaye ou un laïc, par exemple le seigneur local, on l’a vu ci-dessus. Avec le retour de l’affirmation du pouvoir royal, il devint coutumier qu’un seigneur rende ou donne à l’Église la nomination du curé de sa paroisse après se l’être appropriée pendant les troubles de la féodalité.

      Ainsi voit-on qu’au début du XVe siècle, que le curé de Compains était à la collation du prieur de l’abbaye clunisienne de Bort (aujourd’hui Bort-les-Orgues) à l’orée du Limousin [Bruel]. Comment en était-on arrivé là ? Près de l’abbaye de Bort, les Bréon tenaient un château à Lanobre au voisinage des Tinières, châtelains à Val. Issu de la famille de Tinières, Arbert de Tinières était prieur de l’abbaye de Bort en 1167. On peut penser que, par révérence pour ce religieux issu d’une famille avec laquelle ils étaient alliés, les Bréon voulurent honorer ce religieux en lui laissant nommer le curé de Compains. Les Bréon n’en abandonnaient pas pour autant la désignation de certains religieux, nommant par exemple le curé des paroisses du Vernet-Saint-Marguerite et de l’église Saint-Antoine de Valjouze.

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  • Les religieux de la paroisse témoins lors de tractations commerciales

      Le prêtre et le vicaire ne se contentaient pas de remplir leur office spirituel, il leur arrivait d’apporter à leurs ouailles la caution de leur présence lors des transactions commerciales. Au sein d’une population totalement illettrée, la présence du curé, et donc son témoignage possible, étaient rassurants lors de la signature d’actes notariaux, quand le paysan vendait son bétail, testait, contractait mariage ou lorsqu’on établissait un inventaire après décès.

      Géraud Malras était recteur de l’église de Compens en 1347 avec le prêtre Pierre Roche, un patronyme connu à Compains où on a vu qu’un Roche est vassal des Bréon près du Montcineyre. Les deux ecclésiastiques sont témoins cette même année d’une vente qui intervient entre Jean Granulery du manse (tenure paysanne ou hameau) de Chandelière dans la paroisse de Compens et Géraud Saliéri, un marchand clermontois. Au passage, on remarquera que cette importante vente qui comprenait une trentaine de bovins et des juments provenait peut-être déjà d’un domaine seigneurial qu’on trouvera à Chandelière dans les siècles ultérieurs.

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DONS des BREON à l’ABBAYE de SAINT-ALYRE-LES-CLERMONT

(1224, 1229, 1248)

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      L’abbaye bénédictine de Saint-Alyre, consacrée en 1106 et placée sous l’autorité de l’évêque de Clermont recevait de nombreuses donations dès la fin du XIIe siècle, une tendance qui alla en s’accentuant au siècle suivant. Saint-Alyre bénéficiait de dons venus de toute l’Auvergne et en particulier des Bréon de Compains.

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  • Maurin de Bréon donne au prieuré de l’abbaye de Saint-Alyre la terre du Cheix (1224, 1229)

      Le premier don de Maurin documenté par les archives apparait dans une charte du 17 octobre 1224. Il concerne  dans la paroisse du Vabeleix une terre située dans le prolongement de la seigneurie de Brion, un lieu-dit aujourd’hui Le Cheix. Maurin y donnait à l’abbé de Saint-Alyre le territoire du “Cheir” (Le Cheix), entre les lieux-dits Vauzelle et Montaigut. Le toponyme de ce lieu, situé dans le prolongement oriental de la seigneurie de Brion, incite à penser qu’il était peu fertile. Maurin ajoutait à ce don la totalité des dîmes qu’il touchait “in tota parrochia de Valbeles” et ses droits perçus au Valbeleix et à Roche-Charles. A cette occasion, les dîmes inféodées par Maurin retournèrent donc sans doute à leur propriétaires légitimes, des religieux. Ces biens furent ensuite répartis entre le curé du Valbeleix, à la nomination de l’évêque, et les terres de l’abbaye qui obtenait le droit d’édifier un prieuré (domus) avec une cour découverte qui s’étendrait entre les différents corps de bâtiments, le tout complété par des pachiers, des bois et des prés.

      Ce don, qui n’ôtait rien d’essentiel à la seigneurie de Brion, permettait à Maurin de continuer d’exercer la haute justice au Cheix où il conservait la perception d’un cens de cinq sous clermontois à percevoir chaque année à la Saint-André (30 novembre), un terme de paiement qui restera courant dans la région de Besse jusqu’au XIXe siècle. Ce bienfait allait procurer à Maurin plusieurs avantages : outre le fait qu’il lui permettait d’affirmer son appartenance à la sphère des grandes familles nobles bienfaitrices de l’abbaye, il lui permettait d’assurer le salut de son âme et l’autorisait à envisager d’être inhumé au sein du monastère – ce qui advint – et même, le cas échéant, à s’attirer le pardon de quelque méfait, ce qui arriva également.

      De tels dons, qui permettaient à l’abbaye de mettre la main sur des terres fort éloignées de Clermont, avaient lieu solennellement et en présence de témoins importants. Pour confirmer ce don, le seigneur de Brion dut jurer sur les évangiles de respecter cet accord qui fut passé en présence de plusieurs religieux dont Guillaume de La Tour, abbé de Brioude et A. de Borno, abbé de Saint-Alyre. Ce don de Maurin dit “nobilis vir Maurinus de Breo” fut solennellement confirmé en 1225 par Robert d’Auvergne, évêque de Clermont. Maurin dut jurer sur les évangiles que cette donation resterait inviolée par lui et ses héritiers et l’évêque lui donna acte de ce don.

      Des vassaux ou des proches de Maurin signèrent avec lui, notamment B. de Chaslus, probable vassal des Bréon dans l’Entraigue, B. Dalanhac (vraisemblablement Bernard d’Allanche), R. de Largelier, l’un des vassaux des Bréon (Robert, seigneur de Largelier, de Roche à Compains et de Thiolière où on trouvait un château) et H. Guillem (Hugues-Guillaume, sous réserve il pourrait s’agir de Guillaume, comtour d’Apchon, époux de la fille de Maurin vers cette date. On retrouvera quelques-uns de ces témoins aux côtés de Maurin dans d’autres circonstances. Il y a tout lieu de penser que certains de ces vassaux, ou parents possibles, suppléaient les Bréon pour assurer la surveillance du territoire et, si nécessaire, contribuaient à la protection du prieuré du Valbeleix qui, comme tous les établissements religieux, n’avait pas les moyens d’assurer lui-même sa défense.

     Le Cheix sera à nouveau nommé en 1325 dans un hommage rendu à Jean Dauphin par Maurin III. Plus tard, une description sommaire de la seigneurie de Brion en 1365 contenue dans le dernier hommage de Maurin III adressé à Béraud Dauphin, montre que la seigneurie de Brion n’avait pas été amputée, comme elle l’avait été au sud-ouest lors des ennuis financiers de Maurin. Au nord-est elle continuait de dépasser Vauzelle.

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Maurin donne la “villam del chier in parrochia des valbeles” à l’abbaye de Saint-Alyre-lès-Clermont (1225 n.s.), A.D.P.D., Chartrier de Saint-Alyre

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  •    Maurin de Bréon donne à l’abbaye de Saint-Alyre une rente à Andelat

      Un second témoignage de l’extension des biens de l’abbaye vers le sud nous est rapporté par un texte de 1229. A l’occasion d’une nouvelle fondation pieuse de Maurin donne à Saint-Alyre sept livres de rente sur l’église Saint-Cyr et Saint-Férréol d’Andelat, village situé sur la planèze non loin de Mardogne.

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L’abbaye de Saint-Alyre-lès-Clermont en 1450 (A.D.P.D.) 

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  • Don de Robert de Brionnet à l’abbaye de Saint-Alyre (1248)

      On a vu au chapitre consacré à La garde des seigneuries que – selon toute vraisemblance – des cadets des Bréon tenaient le château de Brionnet près de Saurier (P. -de-D.). Montrant que les liens avec l’abbaye ne se relâchent pas au fil du XIIIe siècle, on retrouve en août 1248 Robert de Brionnet qui, “pour le repos de son ame et de ses parents” fait à son tour un don au prieuré du Valbeleix. Il donne les droits annuels qu’il perçoit près de Vauzelle (Vouzela), sur des terres situées “sous la source du Cheix” (subtus fontem del cheir). Ces terres et ces bois étaient limitées par le “monte agudet”, (le Montaigut), jusqu’à l’oratoire des champs (oratorium de campis), qui pourrait désigner la chapelle de Roche-Charles toute proche. La date de ce don correspond à la septième croisade que conduisit Saint-Louis et on ne peut exclure que ce don ait été fait à cette occasion par Robert, peut-être pour financer un départ outre-mer.

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  • Des dons qui pouvaient être intéressés

      On ne donnait pas toujours à l’abbaye par pure générosité et se placer au nombre de ses bienfaiteurs n’était pas toujours dépourvu d’arrières pensées. Un don tel que celui de Maurin en 1225, était concrétisé par un transfert de droits de propriété (mais non de souveraineté). Il ne faisait pas qu’élargir les biens de l’abbaye, il pouvait également procurer plusieurs avantages au donateur : en particulier, ils lui garantissaient des prières au jour anniversaire de sa mort, ou une inhumation au sein de l’abbaye comme en témoigne le nécrologe ci-dessous. 

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Maurin dans le nécrologe de l’abbaye de Saint-Alyre-lès-Clermont

B.P.C.F. Ms 674, Obituaire de Saint-Alyre f°109v°, p.115-116 ; P. Montagnon Nécrologe de l’abbaye bénédictine de Saint-Alyre. Edition et commentaire, 1998, 283 p., nécrologe f°85r° à 135r°

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  • Un lieu de sépulture prestigieux pour Maurin

      En vertu des liens entretenus par Maurin II avec Saint-Alyre on pouvait penser qu’il avait pu être inhumé au sein de l’abbaye clermontoise. Cette probabilité se vérifia à l’examen de l’édition du nécrologe du monastère réalisée par Pascale Montagnon. Rédigé au XIIIe siècle sous l’abbatiat de Hugues de Cussac, abbé de 1262 à 1275, le nécrologe de Saint-Alyre révèle que “Mauri de Breo”, mort le 31 octobre, fut inhumé en terre bénédictine dans la nécropole de Saint-Alyre. C’est le seul Bréon qui figure dans ce nécrologe.

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Des dons pour des siècles

     Les reconnaissances de cens de l’abbaye de Saint-Alyre au profit des seigneurs successifs de Brion se poursuivront jusqu’à la Révolution. Pour la dîme de La Chavade près du Cheix, l’abbaye faisait une reconnaissance de fief à François de Montmorin-Saint-Hérem en 1559. En 1768 et 1772 encore, on trouve des quittances de cens établies par Jean-Charles de Laizer au profit de l’abbaye qui n’allait pas tarder à se retrouver transformée en prison pendant la Révolution.

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RAYONNEMENT de L’ABBAYE de SAINT-ALYRE-LES-CLERMONT

aux ALENTOURS de COMPAINS

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      Le dauphin d’Auvergne incitait ses vassaux à faire des dons à l’Église. Ces libéralités faites aux établissements religieux étaient couramment pratiquées par les gens modestes comme par la noblesse auvergnate. L’abbaye avait tissé un réseau à la fois monastique et paroissial jusqu’au Valbeleix, en bordure de la paroisse de Compains. Saint-Alyre tenait au Valbeleix et à Saint-Anastaise des biens fonciers fort éloignés de son siège clermontois. A l’origine de ces biens on retrouve les Bréon.

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  • Près de Compains : plusieurs vassaux de l’abbaye de Saint-Alyre

      Au Valbeleix, le curé qui desservait l’église Saint-Pierre était à la nomination de l’abbé de Saint-Alyre qui recevait en outre l’hommage de plusieurs vassaux proches de Compains. En 1263, c’est le damoiseau Robert d’Anglars (petite seigneurie au sud de Besse) qui rend hommage et fait une reconnaissance de fief à l’abbé ; en 1332, c’est Hugues Pierre pour les dîmes de plusieurs mas de la paroisse de Valbeleix ; à nouveau Robert d’Anglars en 1370 pour des dîmes au Valbeleix et à Roche-Charles. Citons enfin Pierre-Philippe de Montaigut en 1371 pour une terre voisine du Cheix. Ces hommages rendus par des nobliaux locaux de la périphérie de Compains montrent l’extrême morcellement des biens féodaux et n’excluent en rien que les mêmes, pour d’autres de leurs terres, aient rendu hommage aux Bréon ou même directement au Dauphin d’Auvergne.

      A l’image des Bréon, poussées par la piété du temps, de nombreuses familles faisaient donc profiter l’abbaye clermontoise de dons ponctuels en divers lieux éparpillés à travers l’Auvergne. Source d’enrichissement pour l’abbaye, ces biens dont on a vu quelques exemples autour de Compains, n’étaient pas toujours conséquents. Très, et probablement trop disséminés, ils ne purent donner aux bénédictins clermontois une influence réelle dans la région.

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  • La chevalerie assure la protection des religieux

      Détrousseuse de biens ecclésiastiques aux premiers temps de la féodalité, la chevalerie dut ensuite assurer la protection des religieux qui n’avaient pas les moyens de garantir leurs possessions. On a vu que les hommes du Dauphin d’Auvergne assuraient la protection de l’abbaye de Mègemont. On peut penser qu’il incombait aux Bréon, peut-être conjointement avec les Saint-Nectaire, d’assurer la sécurité des biens de l’abbaye de Saint-Alyre situés sur le pourtour nord du Cézalier. Au fil du temps, ce devoir de protection se trouvera absorbé par la royauté et les biens religieux seront mis sous une protection plus sûre, celle du roi.

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Abbaye de Mègemont

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      Au sud du Bas-Pays, plusieurs paroisses où les Bréon tenaient fief se trouvaient situées dans l’archiprêtré de Blesle (Saint-Mary-le-Cros, Joursac, Moissac, Peyrusse, Vauclair, Valjouze, Sainte Anastasie).  On y trouvait une abbaye bénédictine créée au IXe siècle par les Rochefort d’Aurouze qui en avaient la suzeraineté. Sur la rive droite de l’Alagnon, au nord de Saint-Mary-le-Cros, c’est au lieu de Valclare (ou Val Clère), aujourd’hui Vauclair que deux moines défricheurs, Bertrand de Griffefeuille et Guillaume Robert avaient, dans la seconde moitié du XIIe siècle, fondé un prieuré dédié à Notre Dame. qui comptait au nombre des biens fonciers du monastère de Blesle. Au début du XIVe siècle, l’abbesse de Blesle avait confié la garde de ce temporel à Jaubert de Bréon, frère d’Itier II de Bréon. Jaubert assumait là un rôle traditionnellement dévolu aux nobles, garder les biens des religieux qui ne pouvaient assurer la défense de leurs biens. De l’ensemble de bâtiments que comprenait jadis le prieuré, seule subsiste encore une chapelle romane aujourd’hui restaurée et connue sous le vocable de Notre Dame de Bonsecours.

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AFFRONTEMENT avec l’EGLISE et SANCTIONS

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      Les divergences découvertes au fil des textes entre les Bréon et l’Eglise révèlent, soit la pratique de mauvaises coutumes, soit des conflits d’intérêts territoriaux entre la famille et un établissement ecclésiastique. A plusieurs reprises, les Bréon se heurtèrent à des religieux d’importance relative mais c’est le mauvais comportement de Maurin qui contraignit un jour l’évêque à intervenir pour le punir quand il outrepassa ses droits.

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  • La vassalisation d’une seigneurie sanction de l’inconduite

     Les nobles durent progressivement admettre que les temps de l’indépendance et de l’impunité totale étaient révolus. Soutenue par le roi, l’Église d’Auvergne veillait au respect des bonnes coutumes et, pour tempérer la malfaisance de certains, n’hésitait pas à les sanctionner. Ainsi l’évêque pouvait-il inféoder les biens d’un châtelain qui pratiquait de mauvaises coutumes, menace qui ne manqua pas de contribuer à la soumission de la noblesse auvergnate.

      Les relations de Maurin Ier avec Hugues de la Tour, évêque de Clermont (1227-1249) s’étaient dégradées en mars 1230 (n.s.) après un manquement de Maurin et d’Hugues Guillaume qui profita au prélat. On ne sait si le Hugues Guillaume dont il s’agit faisait partie des gens de Maurin ou s’il s’agit de Guillaume comtour d’Apchon qu’on sait être gendre de Maurin en 1232. Le différend (querelis et controversus), était apparu après de graves excès (omnibus damnis et injuris) commis, peut-on penser par Hugues Guillaume ou ses gens, contre deux ecclésiastiques P. de Saint Bonnet et Armand de Ribeyre (l’un d’eux y trouva la mort) et contre des biens d’Eglise. En vertu des liens familiaux, Maurin qui soutenait Hugues Guillaume fut menacé d’une sanction par l’évêque qui, pour inciter les nobles à pratiquer les bonnes coutumes pouvait faire passer dans son domaine propre des terres détenues par un seigneur.

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Sceau de Hugues de La Tour, évêque de Clermont (1227-1249) – A.D.P.D.

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      Pour sortir de cette mésaventure, on retrouve Guillaume de La Tour prévôt de Brioude et son neveu Bernard de La Tour, commis pour trouver un accommodement. Sanctionné pour avoir bafoué les bonnes coutumes en accordant sa protection à l’assassin d’un clerc, Maurin dut se soumettre à la décision de l’Eglise. Ses seigneuries de Condat et le château de Châteauneuf près de Riom (aujourd’hui détruit), entrèrent dans la vassalité de l’évêque à qui Maurin dut rendre hommage et fidélité (fecit domino episcopo homatgium et juravit eidem fedelitatem) et dut promettre de rendre le château à la volonté du prélat. Les terres incriminées étaient donc restées alleutières et seule la faute de Maurin avait pu les faire entrer dans la vassalité de l’évêque. Pour réparer les violences commises contre l’Eglise, Hugues Guillaume s’engagea à dédommager les victimes, dut jurer qu’il prendrait la croix contre les païens dès qu’il en serait requis (Baluze).

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Sceau de Guillaume de La Tour, abbé de Brioude – A.D.P.D.

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  • Discordes au Bas et Haut Pays

      Des conflits territoriaux surgissaient à l’occasion entre les Bréon et des responsables d’établissements religieux. En 1303 par exemple, un conflit territorial survenu entre Itier de Bréon et Bertrand de Montilanard, prieur du monastère de Bredons, se termine après arbitrage par un compromis. En 1343, Maurin de Mardogne, peut-être offensé, s’oppose à Jean de la Roche, prieur de Montfermy, près de Pontgibaud. Le prieur avait dû subir quelques violences car il avait fallu contraindre Maurin à un asseurement. Il dit jurer solennellement en justice pour lui et les siens de ne pas vouloir se venger et de s’abstenir de toute forme de violence envers une autre personne. La nécessité d’employer l’asseurement pour limiter les risques de vengeance marque les limites du pouvoir royal. Deux siècles plus tard quand la justice royale se sera affermie, la pratique de l’asseurement deviendra inutile.

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Les BREON : DEUX SIÈCLES de CROISADES

“ils firent le voyage outre mer pour aller conquester la Terre Sainte”

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Les pèlerinages religieux en Terre Sainte évoluent en expéditions militaires

      Avant que les pèlerinages ne se transforment en guerre sainte, on pèlerinait vers Jérusalem pour faire acte de foi ou pour expier quelque mauvaise action. Se rendre sur les Lieux saints était un engagement personnel souvent expiatoire, qui résultait d’un vœu et révélait une foi profonde. L’arrivée des Turcs Seldjoukides sur la côte orientale de la Méditerranée au milieu du XIe siècle vint perturber les voyages vers la Palestine. Jérusalem fut occupée par des musulmans qui malmenèrent les chrétiens et firent obstacle à ceux qui s’y rendaient en pèlerinage.

      Espérant canaliser la violence de la chevalerie et limiter les guerres seigneuriales, l’Église cherchait à transformer les milites incontrôlables en soldats de Dieu, respectueux des bonnes coutumes. Ce choix politique se concrétisa en 1095 par la convocation du concile de Clermont par le pape Urbain II (Odilon de Châtillon, ancien moine de l’abbaye de Mozac), qui lança vers Jérusalem la première croisade. L’Auvergne vit alors les départs en Terre Sainte se multiplier. Pour obéir à l’appel du pape, on partait avec ses voisins et alliés, soit par piété, parce qu’on était tenu par des liens de vassalité ou, au fil du temps, par esprit d’aventure. Car vint le temps où on partit attiré par d’éventuels profits à glaner en Orient pour compenser les dettes considérables contractées pour financer le voyage vers la Palestine.

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Les Bréon : de la première à la huitième croisade (1095-1270)

      Les familles chevaleresques ne vivaient pas dans un enfermement régional borné aux limites de leurs châtellenie, ni même de l’Auvergne. On retrouve des Bréon, par exemple, se battant en Occitanie ou en Flandre, passant par Paris ou en croisade car se croiser apparut à plusieurs générations de Bréon comme une ardente obligation qui s’exprima de la première croisade impulsée en 1095 par Urbain II, à la catastrophique huitième croisade conduite en 1270 par Saint-Louis.

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La première croisade : quels participants ?

      De Dantine à Sartiges d’Angles, Lainé, Boudet, Bouillet, Ducange et d’autres, la liste des auvergnats qui participèrent à la première croisade doit être considérée avec précaution. Quant à la Salle des Croisades à Versailles, on y trouve 9 noms mais avec une erreur concernant les Bréon : on leur a attribué les armes des Tinières !

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  • Armand (né v. 1075 ? – mort 1103?) – Arrière croisade de la première croisade (1095-1099)

      Les chroniqueurs des croisades ont d’évidence davantage consacré leurs récits aux chefs les plus prestigieux qui s’illustrèrent par quelque haut fait, plutôt qu’aux troupes de seigneurs qui, comme les Bréon suivirent les grands d’Auvergne en Palestine. Cependant, une source bénédictine (Dantine) fondée sur une “ancienne notice” aujourd’hui devenue introuvable, cite dix noms d’Auvergnats croisés (Marcelin Boudet n’en admet que sept).

      Le bénédictin Dantine affirme qu’Armand de Bréon seigneur de Mardogne, aurait pris la croix après l’appel à la croisade d’Urbain II. Le prénom Armand, (parfois lu sous la forme fautive Arnaud), est une véritable marque du lignage des Bréon du XIe au début du XIIIe siècle, période où on le rencontre à plusieurs reprises. Armand de Bréon aurait rejoint la Terre Sainte en 1102 aux côtés d’autres preux auvergnats, Guillaume VII comte d’Auvergne, Arnaud d’Apchon, Jean de Murat, Louis de Pondonas, Louis de Montmorin, Jacques de Tournemire, Léon de Dienne, le seigneur de Beaufort, le baron de La Tour. Selon les bénédictins et Lainé, “il est certain qu’ils avaient rejoint Raymond de Saint-Gilles et qu’ils faisaient avec lui le blocus de Tripoli au commencement de l’an 1103”. Toujours selon Dantine, ce premier Bréon croisé aurait trouvé la mort en 1103 devant Tripoli.

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   Prêche de la première croisade

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      Alors qu’on pouvait considérer que cette source unique – et qui plus est disparue – se révélait trop mince pou avérer la participation de ces anciennes familles auvergnates à la première croisade, un second document vient conforter l’affirmation des bénédictins. Une lettre conservée à la Bibliothèque Nationale et retrouvée par le chartiste Augustin Chassaing, expose qu’on trouvait chez le seigneur de Tournemire un parchemin de 300 pages contenant une chronique en latin de la première croisade écrite par un moine de l’abbaye d’Aurillac qui avait suivi Rigaud de Tournemire en Palestine. Transformant en possible ce qui pouvait n’apparaître que comme une légende familiale, cette seconde source découverte au XVIIIe siècle, que nous n’avons pu consulter, conforterait l’affirmation des bénédictins quant à la participation des auvergnats à cette croisade.

      On sait que pendant la première croisade lors de la bataille d’Antioche en 1098, après que le nom de saint Georges ait été invoqué, la bataille fut gagnée. On pourrait penser que l’impact du saint sur les croisés fut tel qu’il aurait provoqué le changement de la dédicace de l’église de Compains et conduit au remplacement de saint Michel par saint Georges.

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  • Armand – Deuxième croisade (1147-1149)

      Lancée par le pape Eugène III en 1145, la deuxième croisade (1147-1149) vit le roi de France Louis VII prendre la tête des croisés français. Sans doute partis en compagnie d’un groupe d’Auvergnats, Léon de Dienne, fils d’Amblard, et son fils seraient rentrés en 1148 de cette croisade. Léon de Dienne aurait épousé en 1150 Yolande de Bréon, fille d’Armand de Bréon, probable descendant du premier croisé. Cette croisade, pas plus que cette alliance très vraisemblable, [citée par Lainé et Pélissier de Féligonde], n’est validée par aucun texte connu de nous.

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  • Armand – Troisième croisade (1189-1192)

      Aux dires du chanoine Audigier, un nouvel Armand de Bréon répondit à l’appel de la troisième croisade conduite par Philippe Auguste. On sait également que Guidone de Brion accompagnait le comte de Chalons, de la maison de Thiern (Thiers) à l’abbaye de La Ferté sur Grosne en 1189 alors que celui-ci “voulant entreprendre en 1189 le voyage de Jérusalem” préparait son départ pour la croisade avec le roi [Baluze, Hist. de Chalon]. On ne sait si, finalement, Guidone entreprit le voyage outre-mer avec Chalon.

      D’autres sources viennent confirmer la participation d’un Armand de Bréon à cette croisade : la première [Audigier, Baluze] indique qu’à la fin du XIIe siècle, un groupe de chevaliers auvergnats conduits par le Dauphin d’Auvergne suivit Philippe Auguste lors de son expédition en Terre Sainte, comme un siècle plus tôt leurs ancêtres de ces mêmes familles figuraient déjà dans la liste des participants à la première croisade. Outre Armand de Bréon, la plupart sont de proches voisins ou des parents des seigneurs de Brion : Léon de Rochefort seigneur d’Aurouze, Arnaud d’Apchon, Jean de Murat, Louis de Montmorin seigneur de la Roche, les seigneurs de Montboissier et de La Tour, Jacques de Tournemire et Léon de Dienne. Cette première indication est heureusement confortée par une source plus robuste.

      Daté 1368, un document rappelle les privilèges royaux antérieurement donnés par Philippe Auguste à des barons d’Auvergne et à plusieurs chevaliers qui l’avaient suivi sur les Lieux Saints, dont “messire Arnaud de Brion, seigneur de Mardoigne”. Ce texte, où sont énumérés les bénéficiaires du privilège royal donné par le roi à plusieurs nobles d’Auvergne,  fut considéré comme authentique par les tribunaux à l’époque puisqu’il permit à Jean de Don de gagner un procès en 1368-1369 en faisant valoir ses droits sur Moissac-le-Chastel au détriment de Maurin III de Bréon [Sauval].

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Nécessité du dédommagement royal

       Entreprendre le voyage outre-mer n’était pas seulement long et périlleux, c’était aussi très coûteux pour le roi comme pour ses sujets et le souverain devait tenir compte des difficultés financières dans lesquelles il plongeait les chevaliers qui l’accompagnaient. Chacun devait emprunter pour financer son périple. Aussi pour dédommager les nobles qui l’avaient suivi, Philippe Auguste leur accorda-t-il la dîme de leurs terres et celle de leurs vassaux. Les Bréon récupérèrent à cette occasion les dîmes de certaines possessions d’Église, en admettant qu’ils ne les aient pas déjà captées auparavant par la force. C’était aussi pour le roi une façon détournée de faire payer à l’Église une partie des frais énormes du voyage outre-mer.

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Commerce de dîmes

     Un des Bréon, le damoiseau Bertrand de Mardogne, percevait d’importantes dîmes à Montservier, l’un des hameaux de la paroisse de Joursac, au pied du château de Mardogne. Le 26 octobre 1330, Jaubert de Bréon, seigneur de Mardogne et Guillaume Bosco, prieur de Joursac, rachetèrent les dîmes de Bertrand moyennant 40 livres tournois et 40 setiers de seigle. Tout porte à croire que le revenu de ces dîmes allait être partagé entre Jaubert et le prieur, signant le retour à l’Eglise d’une partie des dîmes probablement anciennement captées par les Bréon ou reçues du roi en dédommagement d’une participation à la croisade.

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  • Rares Auvergnats à la quatrième croisade : du pèlerinage à la mise à sac (1202-1204)

      Désapprouvée par le pape Innocent III, la quatrième croisade s’enchaine rapidement après l’échec de la troisième croisade de Philippe Auguste. Dépourvu de l’idéalisme qui caractérisait les premiers départs, ce qui devait être un grand voyage vers les Lieux Saints se transforma en pillage de Constantinople, la capitale de l’Empire Byzantin. De nombreux chevaliers “mirent Dieu en oubli”, firent demi-tour après la mise à sac de la ville et rentrèrent dans leur pays d’origine avec leur butin.

      Y eut-il des Auvergnats et un Bréon dans cette croisade ? L’indice ténu de l’absence d’un Bréon à la quatrième croisade nous vient de sources narratives. Deux chevaliers chroniqueurs, Geoffroy de Villehardouin, l’un des chefs des croisés, et Robert de Cléry, mentionnent le nom d’environ 250 participants à cette croisade. Établie par Jean Longnon, l’identification des compagnons de Villehardouin ne mentionne pratiquement pas d’Auvergnats, ce qui n’étonnera pas puisque la troisième croisade conduite par Philippe Auguste venait de se terminer et que l’Auvergne s’attachait plutôt à cette date à rembourser les dettes contractées pour financer la croisade précédente.

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Combat de chevaliers – Eglise Notre Dame du Port (Clermont-Ferrand)

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  • Maurin Ier et la croisade en Albigeois  (v. 1208)

      Appelées par le pape, les croisades n’eurent pas toujours pour objectif la Terre Sainte. Elles pouvaient viser, où qu’ils soient, des gens considérés comme hérétiques à l’intérieur même de la chrétienté. Ainsi voit-on Maurin Ier de Bréon participer de façon avérée cette fois à la croisade conduite dans le comté de Toulouse contre les Cathares, une secte qui s’était répandue en Albigeois. A nouveau on put constater des dérives, puisqu’à l’origine religieuse, cette guerre n’allait pas tarder à se transformer en conquête de l’Occitanie.

      Bien postérieur à cette guerre, un arrêt de Jean de Berry, (Issoire 3 juillet 1369),  qui voulait régler les “combustions et débats” entre les seigneurs de Carlat et Murat, rappelle les noms des nobles auvergnats qui s’étaient croisés contre les hérétiques albigeois. On y relève le nom du “seigneur de Bréon et Mardogne”, (Maurin Ier), les noms du comte de Clermont, du baron de La Tour et de bien d’autres familles, alliées ou non des Bréon, qui avaient elles aussi accompli leur vœu de croisade vers l’Albigeois.

      Selon Pierre Bonnaud, “les seigneurs auvergnats ont participé à la croisade [contre les Cathares], et rien n’indique que ce soit uniquement par amour du pillage […]. En langue auvergnate comme en français populaire de la région, Albigeois est resté synonyme de mauvais sujet (bougre d’arbijoeiz).

      En contrepartie de leur participation, les seigneurs auvergnats vont à nouveau bénéficier de privilèges fiscaux octroyés par le “très chrétien roi de France”, aux “nobles de race de quatre générations” tant pour leur participation albigeoise où ils ont “occi et meurtri dans la ville de Vaus (Vaux, Haute-Garonne), plus de 40 mille hérétiques et bougres”, que “pour s’etre croisés plusieurs chevaliers, barons, pour faire le voyage d’outre mer pour conqueter la Terre Sainte”. Ces privilèges seront confirmés à Aigues-Mortes par Louis IX en 1270 lors du départ de la huitième croisade.

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La croisade en albigeois versifiée

      La croisade contre les hérétiques albigeois fut versifiée par un contemporain anonyme, témoin oculaire des faits qu’il relate sur un parchemin qui parait être du XIIIe siècle. (B.N.). En provençal, les vers de la relation mettent en lumière la participation des Auvergnats à cette croisade :

Tota la gens d’Alvernhe e de lonh e de pres... (p.22-23)

E del baros dalvernhe… (p. 168-169)

E mot barons dalvernhe… (p.172-173)

Les vers de la relation sont en provençal avec traduction française en regard [Cité par Fauriel]

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  • Maurin II de Bréon suit Saint-Louis à la Huitième croisade (1270)

 

Des départs parfois contraints et forcés par le roi

      Après l’échec de la croisade de 1248, on préparait en 1269 la huitième croisade, seconde croisade conduite par Saint Louis qui y trouvera la mort à Tunis. L’enthousiasme des participants pour la croisade était devenu plus tempéré, tant par les coûts énormes atteints par le périple outre-mer, que par les risques qu’on faisait courir à sa famille en abandonnant – peut-être pour des années – la surveillance de ses châtellenies. Jean de Joinville cite un chevalier qui lui déclare “si nous ne nous croisons pas nous perdrons l’amitié du roi. Si nous nous croisons nous perdrons celle de Dieu car nous ne nous croiserons pas pour lui mais par peur du roi”. On y alla donc, mais en trainant les pieds. Signe du déclin de “l’esprit de croisade”, Joinvillle – pourtant biographe du roi – bien inspiré, refusa de partir et échappa ainsi au désastre. 

      Marquée par des épidémies et la mort du roi, l’expédition fut un tel fiasco que, considérés comme devenus trop hasardeux, les projets ultérieurs de voyages vers Jérusalem ne se concrétisèrent plus.

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Une aide royale mesurée au plus juste

      Long, risqué, ruineux, le voyage vers Jérusalem impliquait la mise en place d’une organisation précise et couteuse. Louis IX et son frère Alphonse de Poitiers, apanagé d’une partie de l’Auvergne depuis 1225, prenaient à leur charge une grande partie de la logistique de l’expédition, en particulier la traversée en bateau. En Auvergne, l’enthousiasme était retombé et la province finançait mollement la croisade. Alphonse insistait pourtant et donnait pour consigne au connétable d’Auvergne de s’efforcer “pour la grant necessitez de la Terre sainte” que soient “porchassier et assemblés deniers” car “petit profit nos vient” de la sénéchaussée d’Auvergne. Le roi, qui voulait dépenser le moins possible, donnait des consignes claires : “les despens outrageus et qui ne sunt mie profitables, abatez et ostez du tout au tout”.

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Les “privilèges du croisé” pour Maurin de Bréon

      Les chevaliers qui suivaient le roi en Terre Sainte pouvaient bénéficier de certains privilèges financiers et c’est donc revêtu du soutien matériel dispensé par le roi aux chevaliers croisés que Maurin put se lancer dans le voyage outre-mer avec 34 autres seigneurs auvergnats. Du jour où il prit la croix, le paiement des dettes de Maurin se trouva différé durant trois ans. Maurin bénéficia de lettres royaux par lesquelles le roi ordonnait de surseoir trois ans à toutes les poursuites qui pourraient être faites en justice contre le seigneur de Brion. Le mercredi avant la fête de Saint-Jean-Baptiste 1269 (20 juin) Alphonse de Poitiers enjoignait au connétable d’Auvergne de faire en sorte que Maurin “fidelis nostri Mauricii de Breon, militis”, bénéficie des privilèges du croisé accordés par le roi Louis IX son frère “juxta tenorem privilegii crucesignatis indulti per karissimum dominum et fratrem regem Franciae”. Fort de ce moratoire, Maurin savait qu’il disposait d’un répit de trois ans pour rembourser ses dettes sans payer d’intérêts.

      En dépit des aides royales, Maurin n’en devait pas moins financer sur ses fonds propres une grande partie du coût du voyage. Sur quel concours financiers le seigneur de Compains pouvait – il compter ? Ses sujets pouvaient lui apporter une aide conséquente puisqu’ils lui devaient l’aide aux quatre cas qui lui permettait de toucher non seulement un pécule pour la croisade, mais encore d’espérer l’aide de ses vassaux s’il était rançonné.

      De grandes familles voisines des Bréon cherchaient elles aussi des financements. Besse reçut ainsi en 1270 sa première charte octroyée par Bernard VII de La Tour et son frère Bertrand. En achetant leur charte, les bessois finançaient une partie de la croisade des La Tour, ils gagnaient en outre leur émancipation et une possibilité de développement économique bienvenue.

      La mortalité consécutive aux combats fut faible pendant la huitième croisade comparée à l’hécatombe que provoquèrent les épidémies dont Saint-Louis fut lui-même victime. La mort du roi à Tunis et l’armée décimée par les épidémies signèrent l’échec de la croisade. Maurin revint-il de la croisade ? Aucun indice ne vient confirmer qu’il échappa aux périls du voyage, d’autant qu’au retour de Tunis une terrible tempête frappa les navires des croisés.

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Des BREON en RELIGION

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      Pour les familles chevaleresques qui se devaient de caser honorablement leurs cadets, la carrière religieuse offrait des perspectives intéressantes, en particulier celle de ne pas diviser le patrimoine familial. Pour les hommes, devenir clerc pouvait être réversible et laisser place à un retour à la vie civile si le chef du lignage venait à disparaître. Quant au clerc qui passait de vie à trépas, ses biens revenaient à sa famille, sauf s’il avait expressément manifesté une volonté contraire.

      Chez les Bréon, les sources montrent peu de cadets, garçons ou filles, voués au sacerdoce. Chez les filles, les textes ne révèlent qu’une seule entrée en religion, absence peut-être liée à la documentation qui n’évoque que rarement les femmes.

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  • Pierre de Bréon, templier

      Des cadets de familles nobles, parfois âgés seulement de treize ou quatorze ans, pouvaient être reçus dans l’Ordre des Templiers. Formé de religieux soldats, l’Ordre avait pour objectif initial de défendre les Lieux Saints. Certains n’y passaient que quelques années avant d’être rappelés dans leur famille pour succéder au frère aîné disparu. D’autres y faisaient carrière toute leur vie.

      Chez les Bréon, Petrus de Brehonne, frère cadet probable d’Itier II, fut reçu en 1299 dans la maison templière de La Bastide, dans l’actuelle commune de Saint-Germain Lembron. Il fut accueilli dans l’ordre militaire du Temple par Pierre de Madic, chef des Templiers d’Auvergne.

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Rotulus de l’interrogatoire des Templiers

Archives du Vatican, Exposition Lux in arcana, Rome, 2012

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      Après l’éviction des chrétiens de Palestine en 1280, les Templiers se consacrèrent au développement de leurs domaines et de leurs affaires financières et bancaires. Entrés en conflit avec Philippe le Bel, ils furent arrêtés en 1307.

      Pierre de Bréon fut conduit à Paris en 1310 avec plusieurs centaines de membres de l’Ordre. Interrogé tant sur ses propres actions qu’en tant que témoin pour ce qui ne relevait pas de lui, il nia les faits reprochés dans sa langue maternelle (“in materna lingua”) et non en latin. Sous serment, il déclara avoir été reçu clandestinement, nuls autres présents, sans frère dudit Ordre et de ce fait, il crut qu’étaient ainsi reçus les autres frères de l’Ordre. Il dit avoir reçu la mission lors de sa réception de ne pas révéler les secrets de l’Ordre, ni les modalités de sa réception. Il dit enfin qu’on lui enjoignit de porter une corde ceinte jour et nuit sur sa chemise en signe de chasteté.

      A Paris, Pierre de Bréon fut détenu à l’abbaye de Sainte Geneviève, puis dans la maison de Richard de Spoliis, rue du Temple. Déposant le 2 avril 1310 devant la commission pontificale, il n’est pas encore absous ni réconcilié et reconnait le crachat sur la croix, déclarant qu’il est prêt à défendre l’Ordre qui sera aboli le trois avril 1312, en présence du pape Clément V. On ne sait si Pierre de Bréon figura parmi les 54 Templiers condamnés à mort comme relaps le 11 mai 1310. Après avoir reconnu les fautes de l’Ordre, les relaps qui les avaient niées le 12 mai 1310 furent mis dans des charrettes, conduits à la porte Saint-Antoine et brûlés vifs. Le fils de Robert II Dauphin d’Auvergne, Guy Dauphin, chevalier du Temple, fut brûlé vif le 13 mars 1314 avec Jacques de Molay. Nos sources ne documentent pas le devenir des autres Templiers d’Auvergne qui en réchappèrent après ces évènements. Les recherches récentes sur le sujet (2013) concèdent qu’on dispose de “très peu de renseignements sur ce qu’il advint des Templiers de France centrale” [Pichot M.].

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  • Auzelle de Bréon, chanoine-comte du chapitre de Saint-Julien de Brioude (1314)

       Cité en 1314 dans les chartriers du chapitre de Brioude, Auzelle de Brion fut reçu chanoine-comte sur titres. Le plus souvent choisis dans d’anciennes familles nobles des environs de Brioude, les chanoines-comtes étaient clercs. Ils constituaient une milice guerrière chargée, à l’origine, de protéger le tombeau de saint Julien, martyr dont la basilique Saint-Julien de Brioude conserve les reliques. Seize quartiers de noblesse étaient requis – côté paternel comme maternel – pour compter au nombre des trente-huit chanoines séculiers du chapitre qui ne rendaient hommage qu’au roi sur le lieu même de Brioude et ne relevaient, sur le plan spirituel, que du saint siège. Tonsurés, les chanoines n’avaient reçu que les ordres inférieurs et n’étaient pas astreints à entrer en religion ce qui leur permettait de revenir prendre la tête du lignage en cas de disparition du chef de famille. Auzelle avait des terres à Coren et Talizat. Un Ozelet de Bréon est cité en 1317. Chez les Tinières en 1303, Louis de Tinières était chanoine-comte.

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  • Léone de Bréon, moniale au monastère de Beaumont-lès-Clermont (morte 1349)

      Chez les filles des Bréon, seule une religieuse, Léone, émerge du silence qui entoure souvent la vie des femmes. Sœur de Maurin III, Léone fut moniale au monastère de Beaumont-lès-Clermont. Fondée au XIIe siècle au sud de Clermont, la communauté de religieuses de l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre de Beaumont constituait une des plus anciennes et des plus importantes communautés monastiques féminines d’Auvergne. Recrutées pour la plupart dans la noblesse – les Dauphins y placèrent certaines de leurs filles – les moniales qui avaient prononcé leurs vœux y vivaient dans la clôture. On sait peu de choses sur la vie de Léone si ce n’est que, comme sa mère Mélior de Châteauneuf-Randon et comme son oncle, Pierre de Tinières, elle mourut en 1349 en pleine épidémie de peste. La situation financière désastreuse de Maurin III à cette époque obligea le chef du lignage à emprunter pour financer les obsèques de sa sœur qui fut probablement inhumée au monastère.

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Monastère Saint-Pierre de Beaumont (P. de D.)

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  • Itier de Bréon, clerc

      Le clerc Itier de Bréon, frère de Maurin III, bénéficia de l’arrivée au pontificat du pape Benoît XII. A l’occasion de sa première année de pontificat, le nouveau pontife concéda plusieurs bénéfices à des religieux auvergnats, dont Itier. A la condition de résigner son canonicat et la prébende qu’il tenait à Besançon, Itier fut doté d’un canonicat sans prébende le 28 mars 1335 (n.s.) dans l’attente de la vacance d’un canonicat en Auvergne à pourvoir soit dans l’abbaye bénédictine de Saint-Alyre-lè-Clermont, soit dans l’abbaye clunisienne de Menat. C’est ce même Itier, clerc, qui ratifia en 1368 la vente du hameau de Chaumiane par Maurin III à Guillaume de Tinières.

      Après le décès d’un puiné devenu religieux, ses biens revenaient le plus souvent au chef du lignage. On peut donc concevoir que les biens d’Itier revinrent à son neveu Jaubert de Bréon, fils de Mélior et de Maurin III, toujours désargenté par le procès qu’il conduisait contre les Polignac. Cependant, Itier peut aussi avoir  légué expressément ses biens à l’Église comme l’y autorisait la coutume d’Auvergne qui rejetait la dédication tacite mais admettait la dédication expresse en dépit des “inconvénients qu’il y a de procurer trop de richesses aux religieux”. Pour la coutume, l’argent devait donc être mieux utilisé par des laïcs que par des ecclésiastiques.

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Abbaye de Neuffonts – Saint-didier-la-Forêt (Allier)

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  • Hugues de Mardogne, abbé de Saint-Gilbert de Neuffonts

      L’abbaye de Saint-Gilbert de Neuffonts compta parmi ses abbés “hugo de Mardonia seu de Mardonhia” [Gallia christiana]. Deux attributions familiales sont possibles pour Hugues de Mardogne.

       Une première hypothèse en ferait le frère cadet d’Itier de Rochefort époux de Dauphine de Bréon qui releva le nom des Bréon après la mort de son beau-père Maurin II de Bréon. Dans ce cas Hugues de Mardogne serait issu des Rochefort d’Aurouze. Encore damoiseaux, Itier et son frère Hugues rendaient hommage en octobre 1266 à l’évêque Gui de La Tour. Après avoir été délégué aux Etats de Tours le 26 avril 1308, “frater Hugo, abbas sancti Gilberti” fut nommé exécuteur testamentaire de Béraud de Mercoeur, le jour de la Pentecôte 1314, nomination renouvelée en 1321. Hugues  est cité au nécrologe de l’abbaye de Neuffonts sous le nom “Hugo Mardonie”, le 26 janvier 1324 [Malvielle].

      Compte tenu de l’étirement chronologique, une seconde hypothèse permettrait d’envisager que Hugues de Mardogne soit un fils d’Itier Ier de Bréon. On retrouvera ce prénom attribué au damoiseau Hugues de Bréon “Hugone de Breone”, fils ou petit-fils de Maurin III, cité le 22 juin 1357 lors du mariage de Béraud II comte de Clermont, Dauphin d’Auvergne avec Jeanne de Forez.

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  • Pas de filles des Bréon à l’abbaye de Mégemont ?

      Dans la paroisse de Chassagne, à seulement une vingtaine de kilomètres de la seigneurie de Brion, une abbaye cistercienne de femmes avait été fondée en 1206 à Mègemont par Robert Ier Dauphin d’Auvergne, quelques années après la mort de son épouse, Guillemette de Comborn. Le monastère de Mègemont serait le plus ancien monastère de femmes d’Auvergne [Audigier]. L’abbaye avait des possesions proches de la seigneurie de Brion à Genelière, Bostlabert, Le Brugelet, Servolles, Venèche et Brionnet.

      Mègemont recrutait parmi la noblesse locale et des filles du Dauphin y appraissent comme abbesses. L’abbaye devait la fidélité au Dauphin qui lui devait protection, rôle que reprit Philippe VI de Valois. Mort en 1234, Dauphin faisait don cette même année d’une terre à l’abbaye [Baluze]. Malheureusement nos sources sur Mègemont sont lacunaires après l’incendie d’une partie des archives anciennes brûlées par les Huguenots au XVIe siècle ce qui ne nous permet pas de savoir si les Bréon y sont intervenus, soit pour augmenter le temporel de l’abbaye, soit pour y  faire entrer une de leurs filles [Dodel-Brunello].

      L’abbaye était appréciée des Saint-Floret qui y placèrent plusieurs de leurs filles. Un proche des Bréon, Jaubert de Saint-Floret, prévôt de Condat en 1283, demanda par testament en 1294 à y être ensépulturé comme en 1345 Philippa de Courcelles qui, devenue veuve de Robert de Saint-Floret, voulut y rejoindre son époux en 1298.

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Les LIEUX de SEPULTURE

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Dernières demeures inconnues des Bréon

      Les résidences multiples des Bréon laissent planer l’incertitude quant à l’emplacement de leurs sépultures que la documentation ne vient pas renseigner. En l’absence de testaments, on peut cependant concevoir que certains soient inhumés sous les dalles de l’église Saint-Georges ou dans l’église de Joursac. Suite aux liens entretenus entre Maurin II de Bréon et l’abbaye de Saint-Alyre on a vu précédemment que Mauri de Breo, probablement celui que nous nommons Maurin II, fut inhumé dans cette terre bénédictine. C’est le seul Bréon qui apparaisse dans le nécrologe de l’abbaye. Quant à Léone, elle fut vraisemblablement inhumée au monastère de Beaumont.

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      Coup d’œil vers de proches parents des Bréon

      Un rapide tour d’horizon des proches parents des Bréon montre que l’inhumation ne fut pas fastueuse pour Jaubert de Dienne, mort quelques années après Maurin III alors que la guerre de Cent ans faisait rage en Auvergne. Dans son testament daté du 31 août 1374, Jaubert souhaite que ses obsèques aient lieu sans aucune pompe et que son corps repose dans l’église de Dienne.

      Chez les Saint-Floret, dont plusieurs épousèrent des Bréon, les dernières volontés exprimées dans sept de leurs testaments montrent que l’idée même de tombeau collectif familial est absente des esprits.  En 1283 Guillaume de Saint-Floret veut être enterré “au tombeau de son père” à l’abbaye de Saint-André de Clermont, lieu prestigieux où reposaient les Dauphins d’Auvergne. Robert de Saint-Floret, frère du précédent, fixa sa sépulture dans l’église de Saint-Romain de Tallende où il avait fondé une vicairie. Jaubert de Saint-Floret choisit en 1294 le monastère de Mègemont, mais sa veuve, une Montaigu, préféra rejoindre le tombeau de ses père et mère dans l’église Saint-Pierre de Montaigu. On a vu que Philippa de Courcelles du Breuil, veuve de Robert III de Saint-Floret, était allée rejoindre son époux en 1345 à l’abbaye de Mègemont. Quand Athon de Saint-Floret époux de Marie de Bréon en 1314, teste à son tour en 1364, il choisit l’église ou le cimetière de Saint-Floret-le-Château [Du Ranquet].

      En fait, chacun choisit le lieu qui lui correspond le mieux, reflet de sa trajectoire personnelle ou de la “grandeur” qu’il s’attribue. Les abbayes attirent (Saint-Alyre, Saint-André “le saint-Denis des Dauphins d’Auvergne” et des grands seigneurs de la province selon Du Ranquet, mais aussi Mègemont). Le plus souvent – mais pas toujours – on veut être inhumé près de son conjoint ou de ses parents, mais être inhumé dans l’église paroissiale de la seigneurie n’apparait pas comme une obligation.

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  A SUIVRE