Compains

Histoire d'un village du Cézallier

– Chronique de la vie ordinaire d’un curé

Jean Breulh (1660-1740), curé de Compains de 1700 à 1740

La reprise en mains du clergé au XVIIe siècle

     Le diocèse de Clermont est en matière de réforme de l’Eglise l’un des plus avancés dans la France du XVIIe siècle. Il bénéficie jusqu’à la Révolution de plusieurs évêques qui rompant avec les usages précédents, résident dans leur diocèse et mettent en œuvre avec détermination la Réforme de l’Eglise consécutive au concile de Trente (1545-1563). Approuvée par la population, cette plus grande exigence de la hiérarchie catholique fixe en matière de discipline ecclésiastique des règles plus strictes qui aboutiront à la régression progressive des abus les plus criants. Lors des synodes du XVIIe siècle, les évêques définissent clairement pour les religieux où sont le bien et le mal. Ils renforcent leur contrôle sur le clergé en visitant eux-mêmes les paroisses, améliorent la formation en créant des séminaires, multiplient les synodes et instituent dans les paroisses des conférences ecclésiastiques.

     A Compains, la présence des prédicateurs Mendiants est attestée dès 1634. L’Avent et le Carême y sont prêchés par plusieurs ordres de réguliers qui dispensent la bonne parole. Lors de la visite pastorale en 1634 de Robert Brossel, archiprêtre d’Issoire, le curé Antoine Dabelt signale le passage à Compains des Mendiants Capucins d’Issoire, Cordeliers de Vic-le-Comte et Récollets de Saint-Nectaire. “Nul ne mendie [à Compains] que les pères des rues” déclare le curé à  l’archiprêtre. Antoine Desserre, curé de Besse, annotant le registre paroissial, relate que “le 16 novembre 1639 sont venus les pères de la Mission […] de la Compagnie de Jésus, envoyés de la part de Monseigneur de Clermont, lesquels ont presché après les vespres […], catéchisé certains jours […] non seulement à Besse, mais aux autres paroisses voisines durant quelque trois semaines avec beaucoup de fruict pour les âmes” (A. Boyer-Vidal). Les Récollets s’installeront dans la région quand Louis d’Estaing, seigneur d’Ardes, puis le roi en 1660, autoriseront leur installation à Ardes.

Jean Breulh, prêtre du diocèse de Saint-Flour

Signature de Jean Breulh, curé (1700)

    A son arrivée à Compains en 1686, si le jeune vicaire Jean Breulh ignorait qu’il serait curé de Compains pendant quarante ans, il ne pouvait être dépaysé : originaire de Cheylane, hameau de la paroisse de Laveissenet au sud de Murat, (Haute Auvergne, aujourd’hui le Cantal), où il était né en 1660, il retrouvait à Compains l’ambiance rurale qu’il avait bien connue avant d’entamer des études religieuses au séminaire de Saint-Flour. Né dans le Haut Pays, c’est pourtant dans le diocèse de Clermont, en Basse Auvergne, (aujourd’hui le Puy-de-Dôme), que se déroulera  toute sa carrière ecclésiastique. Jean Breulh fait alors partie des 13,9% de curés qui viennent exercer leur ministère dans le diocèse de Clermont sans en être originaires, ni y avoir fait leurs études (F. Chalet). Ces migrations transdiocésaines entre le diocèse de Saint-Flour et celui de Clermont, s’ancrent dans une tradition qui remonte au XIVe siècle, quand le pape Jean XII  décida en 1317 d’amputer le diocèse de Clermont des paroisses qui formèrent le diocèse de Saint-Flour, réputé “l’un des plus crottés” des diocèses du royaume.

    L’origine sociale de Jean, une famille de paysans-marchands – son frère est fermier, son neveu est marchand – le destinait à exercer son ministère en milieu rural. Jean Breulh entra t-il dans l’Eglise “par la porte de la vocation” comme l’exprime Jean-Jacques Olier, créateur du premier séminaire français ? Ne fut-il pas plutôt orienté vers la vie religieuse par sa famille qui, pour l’établir, donna un de ses enfants à l’Eglise ? Sa vie de dévouement passée, semble t-il sans nuages, au service de ses ouailles compainteyres rend plausible la voie de la vocation.

    Le concile de Trente avait prescrit en 1545 de ne pas ordonner de clerc “qui ne soit possesseur d’un bénéfice suffisant pour sa subsistance honnête” (A. Poitrineau). L’Eglise exigeait que le prêtre possédât un minimum de biens personnels. Le titre clérical assurait au prêtre une rente qui lui permettait de survivre dignement dans les cas de dîmes insuffisantes ou de congrues impayées. L’accès à la prêtrise était facilité si on était issu d’une famille “accomodée”. La famille de Jean Breulh, des laboureurs sans doute aisés, dut financer ses études au séminaire et pour lui assurer le revenu minimum de 80 livres exigé par l’Eglise, finança son titre clérical, une rente perpétuelle garantie sur une terre que les familles accordaient souvent en avance d’hoirie.

    Mieux formé que ses collègues plus âgés, Jean Breulh bénéficia de l’enseignement dispensé au tout nouveau séminaire de Saint-Flour, créé en 1649 avant même ceux du Puy (1652) et de Clermont-Ferrand (1653-1654). On sait grâce aux visites pastorales que Jean Breulh détenait les livres religieux nécessaires à l’exercice de son ministère. Louis d’Estaing, évêque de Clermont au XVIIe siècle, avait exigé que le clergé séculier se constituât une bibliothèque. Il fit publier “La table des livres que les curez et autres ecclésiastiques sont obligez d’avoir chez eux”. On y trouve une bible, un catéchisme du concile de Trente, les recueils des actes du concile, une vie des saints, des traités sur les cas de conscience, des ouvrages de spiritualité dont les Méditations et les Confessions de saint Augustin. Le curé pouvait également utiliser l’Ordo ou Bref, un petit guide des offices qu’il devait acheter 7 à 8 sous à l’imprimeur de l’évêque.

    A Compains en 1634, le curé disposait d’un missel du concile, d’un missel de Clermont et de deux Rituels de Clermont. Il ne détenait ni cantoral, ni psautier. En 1735, Jean Breulh utilise le nouveau rituel de Massillon, publié en 1733. L’inventaire des ses biens après sa mort en 1740 omet de nous donner les titres des livres qu’il lègue à son neveu, prêtre lui aussi, et ne permet pas de déceler, comme c’est parfois le cas chez certains religieux, s’il détient quelques ouvrages plus “littéraires” à côté des ouvrages de piété.

    Pour leur formation continue, les ecclésiastiques devaient participer à Clermont aux deux synodes annuels de l’évêque et aux conférences qui se tenaient deux fois par mois au pays, regroupant les prêtres de plusieurs paroisses. Avec ses vicaires, Jean Breulh suit ces formations en 1700. Curé depuis trente ans, il est promu directeur de la conférence qui regroupe les prêtres des villages voisins de Compains.

Vicaire à Compains

    Quand ce jeune homme de vingt six ans abandonne la Haute Auvergne, franchit l’Alagnon et s’achemine jusqu’au septentrion du Cézalier pour “prendre soin des âmes de la paroisse” de Compains, il découvre un village rural très semblable à Cheylane son village natal. Sa mentalité est sans doute peu différente de celle de ses ouailles à ceci près qu’éduqué et instruit,  il est avec le notaire et de rares  agents seigneuriaux, l’un des rares hommes qui sachent lire et écrire dans la paroisse.

    L’Auvergne vit entre 1670 et 1690 une période de prospérité et la population augmente. Le climat des montagnes se montre momentanément clément en dépit de quelques inondations qui, en 1683-1684, ont retardé les travaux à entreprendre au clocher de l’église Saint-Georges. Godivel, bourgeois bessard, raconte : “on n’avait jamais vu une abondance pareille pour le bled et le vin et toutes sortes de fruicts […] c’était une abondance qu’on ne peut exprimer qui commença depuis 1685 jusqu’en 1688” (E. Jaloustre). On profitait alors du calme avant la tempête : les années de famine – 1692-1694 – approchaient.

     Pendant ces premières années, Jean Breulh assure les tâches normales d’un vicaire. Ainsi, témoin de la vie et de la mort de ses paroissiens, il se rend à Escouailloux, village de Compains, où il est témoin du testament d’Estienne André de la Ronade, “escuyer seigneur de lascollanges et d’Escouailloux”. Bientôt, il devient curé.

Premières cures

     Jean Breulh quitte en novembre 1687 la vicairie de la paroisse de Compains pour la cure de l’église Saint-Gal dans la paroisse de Verrières près de Chidrac, village où résident les Laizer, seigneurs de Compains et Brion. A Verrières, il succède au curé Antoine Douniol qui prend sa retraite à Besse et résigne sa cure en présence de Gabriel de Chazelles, curé de Compains et de Louis Fabre, curé de la paroisse de Saint-Anastaise.

    On retrouve Jean Breulh curé à La Godivelle, paroisse isolée au milieu des herbages où il vivra les années de terrible misère qui frappent le pays de 1692 à 1694. Le 24 mai 1700, il signe son dernier acte de baptême à La Godivelle où lui succède le curé Pierre Jourde, fils d’un laboureur de Condat en Feniers.

Curé de Compains de 1700 à 1740

    De retour à Compains, le nouveau curé alors âgé de quarante ans va prendre soin des âmes d’une paroisse peu réputée pour sa docilité. Il succède à “Gabriel de Chazelles escuyer cy devant curé de la paroisse”. Curé de l’église Saint-Georges, il y exercera son ministère pendant quarante ans, jusqu’à sa mort en 1740. A peine a t-il pris possession de sa cure que Jean Breulh doit accueillir le 3 septembre 1700 François Bochard de Saron, évêque de Clermont, qui visite les paroisses de son diocèse.

  PHOTO lith Emile Sagot 

 Compains, la nef de l’église Saint-Georges – lithographie d’Emile Sagot (A.D. du P. de D.)

 La vie solitaire du prêtre des montagnes incite Jean Breulh à attirer près de lui des membres de sa famille : sa mère d’abord, puis Jean, son neveu homonyme et finalement un second neveu lui aussi prêtre, Guillaume. Le curé vit dans la maison curiale avec Jeanne Breulh, vraisemblablement sa mère devenue veuve qui l’a suivi pour l’assister dans sa paroisse. Âgée de 77 ans, “Jeanne Breulh du lieu de Cheylanne”  décède le 30 octobre 1703 “entour une heure du soir au lieu de Compains en la maison curiale” après avoir reçu le saint viatique par Jacques Golfier, prêtre communaliste (enfant né dans la paroisse et devenu prêtre) de Compains. Ne pouvant plus bénéficier de l’aide de sa mère, Jean Breulh doit suivre les ordonnances de l’évêque Massillon qui défend aux religieux “de prendre chez eux leurs parentes si ce n’est leurs Mères, Tantes, ou Soeurs, et d’y recevoir aucunes servantes pour leur service ordinaire […] dans leurs maisons, qu’ils ne soient rendus certains qu’elles ont au moins l’âge de cinquante ans”.

 

     La dispersion des villages de la paroisse oblige le prêtre à arpenter à cheval été comme hiver un territoire étendu au climat imprévisible et souvent rude. Pour ce faire, l’inventaire des biens du curé Breulh montre qu’il possède deux juments. L’inquiétude d’arriver trop tard au chevet  d’un mourant accompagne tous ses déplacements. L’évêque, à chacune de ses visites pastorales s’assure du respect de l’administration du dernier sacrement, s’attirant invariablement du curé la réponse que “personne nestre mort sans sacrement par sa faute”. Quand le relief, la distance et le climat se liguent pour accroître la pénibilité des trajets, quand le curé est seul desservant, s’il tombe malade ou devient handicapé, la présence d’un vicaire s’avère indispensable.

     Oncle de deux prêtres, Jean Breulh à 67 ans, fait venir à Compains pour le seconder deux de ses neveux vicaires qu’il place successivement auprès de lui. Un premier neveu homonyme, Jean Breulh “prestre du diocèse de Saint-Flour” comme son oncle, le rejoint à la cure en 1727.

Eglise Saint-georges

    Nommé prieur de Brion en 1737 par Louise de Miremont, veuve de Jean de Laizer, seigneur de Compains et Brion, le neveu du curé cumule cette fonction avec celle de vicaire à Saint-Alyre-ès-Montagne.  Un an plus tard, il est remplacé à la vicairie de Compains par un autre neveu du curé, Guillaume Breulh qui n’habite pas avec son oncle. Le curé vit au presbytère secondé par une servante, le vicaire a son domicile et une servante. Le presbytère, une petite bâtisse malsaine située au pied sud de l’église en contrebas du cimetière est dans un “état de détresse” permanent et ne peut sans doute abriter à la fois le vicaire et le curé. Guillaume est nommé vicaire à Saint-Anastaise en 1737, il y deviendra curé en 1744, quelques années après la mort de son oncle.

 Les revenus du curé

    Citant la phrase de saint Paul, François Malsang, curé de Saint-Alyre-ès-Montagne, se plaignant de la maigreur de ses revenus, déclarait à l’évêque François de Bonal en 1786 “ceux qui servent à l’Autel ont le droit de vivre de l’Autel”. Inversement, des plaintes de fidèles arrivent jusqu’à l’évêché pour dénoncer les abus de certains ecclésiastiques peu scrupuleux.

    Massillon avait publié une ordonnance lors du synode de 1725  afin de “prévenir des demandes indécentes ou excessives que les curés peuvent faire”. Mais en contrepartie “si les pasteurs leur administrent les choses spirituelles, ils doivent ne pas leur refuser les temporelles”. Si l’Eglise entend bien que le tarif des actes religieux doit rester modéré, les fidèles doivent accepter de payer le juste prix qui permettra au clergé de vivre décemment. L’ordonnance tarifie la plupart des actes religieux sans omettre la nécessité pour le clergé de modérer ses demandes lorsque des personnes “peu accommodées” sont concernées : “nous exhortons les curés d’user modérément de leurs droits pour les mariages à l’égard des artisans, des domestiques, des gagnedeniers et autres personnes peu accomodées et à l’égard des pauvres, ils seront mariés et enterrés par charité sans que l’on puisse remettre ni différer leur mariage à un autre jour”.

    Selon les ordonnances des conciles du Moyen Âge, chaque église devait être dotée d’au moins douze arpents de terre. A ces revenus, peuvent s’ajouter ceux de la portion congrue, des dîmes, les revenus des fondations et du casuel. Par contre, les dons faits dans les testaments et les revenus de la luminerie relevaient des biens de l’Eglise et ne tombaient pas dans l’escarcelle du curé.

     A Compains, les gros décimateurs en 1700 sont le comte de Brion, le marquis d’Entraygues et le seigneur de La Roque. La dîme rapporte au curé vingt six septiers de blé qu’il prend dans trois villages de la paroisse, trente livres qu’il touche de la dame d’Entraygues pour supplément de portion congrue et un pré “a faire deux chars de foin”.

     En 1701, Jean Breulh passe un traité avec le comte Jean de Laizer, seigneur de Compains “pour raison des dismes que ledit seigneur percevoit dans ladite paroisse”. Le comte délaisse au curé les dîmes dépendant de Compains et des villages de Malesagne, Barbesèche, Belleguette et La Ronzière. Il se réserve toutefois le droit de changer d’avis et de retrouver ses droits sur ses terres en payant au curé et à son vicaire les 450 livres qui leur sont dues par la loi. On notera que cette réserve de Jean de Laizer n’est probablement pas dépourvue d’arrière-pensées. La variabilité du climat – on sort d’une période climatiquement désastreuse – et les aléas qui pèsent sur le produit des récoltes et même de l’élevage soumis à des fluctuations consécutives aux épizooties, peuvent l’avoir incité à abandonner la perception des dîmes. Quand les récoltes sont mauvaises ou médiocres, le seigneur a intérêt à laisser  la dîme au curé. Dans les périodes de relative abondance, il a intérêt à verser la portion congrue au curé car le produit de la dîme sera plus élevé que le montant de la congrue.

     En 1714, Jean Breulh baille à cens “tous les dixmes que ledit curé doit jouir et percevoir dans les villages dudit Marsol, Belleguette, Chandelières et Groslier”. Pour toucher la dîme qui lui est due sur les terres cultivées et les pâturages, le curé de Compains n’intervient pas directement auprès des habitants : il sous-traite la collecte à un villageois dans chacun des hameaux où il est décimateur. Cette délégation évitait au curé la situation embarrassante de devoir réclamer directement son dû à des habitants souvent peu fortunés et parfois récalcitrants. Le jour de la récolte, les “dixmiers”, agents chargés de la perception sur le terrain, devaient crier par trois fois “a la dîme”, c’était “l’avertissement”. La dîme était perçue en gerbes dans le champ, le jour même de la moisson par le représentant du décimateur (A. Poitrineau). En 1735, le curé déclare n’avoir d’autre bénéfice que sa cure et jouir pour sa portion congrue et celle de son secondaire “d’une forte partie des dixmes de sa paroisse” et de  la somme de 125 livres pour supplément qui lui est versée par les autres décimateurs. A Compains comme partout, la situation matérielle du curé est bien supérieure à celle de son vicaire qui vit “a meme pot et a meme feu” avec son oncle, partageant les revenus de la cure.

La résignation de la cure

     Sentant venir sa fin prochaine, “vénérable et discrète personne”, Jean Breulh, âgé et malade, renonce en 1740 à une charge  devenue trop lourde exercée pendant plus de cinquante ans. C’est dans le presbytère qu’il résigne sa cure “sans fraude ni simonie”, le 25 mai 1740 au profit de son neveu Jean, vicaire.

     Le curé Breulh veut organiser comme il l’entend sa succession. Le passage des bénéfices curiaux du curé au vicaire est alors courant. Mais le curé résignant doit remettre au préalable sa cure entre les mains du pape. Si l’accord de Rome arrive avant le décès du résignant, tout se déroule comme souhaité par le curé. Mais quand  le curé décède avant l’accord du pape, l’évêque peut reprendre la main, ce qui arriva (A. Poitrineau). La cure de Compains échappa au neveu et c’est François de La Gardette qui fut nommé curé de Compains par l’évêque.

Testament et inventaire de Jean Breulh

     Une semaine après la résignation de sa cure, “dans sa maison curialle, ledit testateur estant assis auprès du feu” dicte son testament au notaire et fait l’inventaire de ses biens en présence d’un autre neveu homonyme, Jean Breulh, marchand à Cheylanne, paroisse de Laveissenet, berceau de la famille Breulh. Le curé recommande son âme à Dieu, à la Vierge et à tous les saints avec beaucoup plus de sobriété que ne le font habituellement les villageois de Compains dans leur testament. Il exprime la volonté d’être “ensevely dans l’église dudit Compains et au devant de l’autel du rosaire”, lieu où on inhumait traditionnellement les prêtres de la paroisse. Il désigne pour héritier universel de tous les biens meubles et immeubles qu’il laissera après son décès, non ses neveux prêtres, mais son troisième neveu, le marchand de Laveissenet.

     Le curé procède ensuite à l’inventaire de ses biens : on découvre à cette occasion que ses possessions sont situées “dans toute la province d’Auvergne tant haute que basse”. On notera dans cet inventaire la présence des deux juments indispensables aux déplacements du curé et de son vicaire. L’équipement de la maison ne comprend que le strict nécessaire mais  les chaises sont nombreuses car plus confortables qu’un banc pour recevoir les paroissiens. Les provisions de bouche sont rares : partageant la vie au presbytère avec son neveu, sans doute le curé n’a t-il pas jugé important de les faire figurer dans l’inventaire de ses biens. Seul apparait le seigle pour faire le pain et “un peu de vin”, sans doute du vin de messe. La toile provient vraisemblablement d’une dîme de lin, culture fort pratiquée dans les environs.  Perçue transformée sous une forme grossière, la toile de lin pouvait être revendue par le curé  ou utilisée pour les besoins de l’église Saint-Georges. Le seul “luxe” apparent de la maison curiale est constitué de quelques objets utilitaires en étain. L’éclairage était assuré par une lampe et quatre chandeliers en cuivre.

     Les titres des ouvrages donnés par Jean Breulh à son neveu ne sont pas précisés. Curieusement, il ne laisse pas de livres à son deuxième neveu Guillaume Breulh qui reste vicaire à Compains. Les objets religieux de la maison curiale ne sont pas mentionnés, à l’exception d’un fer à hosties.

     Un mois après la rédaction de son testament, Jean Breulh “dernier et paisible possesseur de ladite cure” décède entouré de ses neveux le 6 juillet 1740 “agé d’entour 81 ans”. Comme il le souhaitait, on l’inhuma dans la chapelle du Rosaire de l’église Saint-Georges en présence du curé de La Mayrand et de ses neveux.

Zizanie autour de l’héritage

     Héritier universel de son oncle, Jean Breulh, marchand de Cheylane, établit le 22 juillet 1740 une procuration où il charge les deux prêtres de régler au mieux la succession de son oncle et de s’entendre au sujet des dîmes avec le futur curé de Compains. Ils devront également faire payer les arrérages des rentes et les autres dettes s’il s’en trouve “et y faire grace s’ils le jugent a propos”. Conciliant, il s’en remet enfin à eux “promettant d’avoir le tout pour agréable […] s’en tenir a tout ce qu’ils fairont”.

      La procuration de l’héritier laissait toute latitude aux deux prêtres pour organiser la succession de leur oncle. La zizanie s’installe pourtant un an plus tard après que Guillaume Breulh ait quitté Compains pour la vicairie de Mazoires. Le 24 décembre 1741, Guillaume fait assigner Jean, héritier du curé Breulh devant le lieutenant et devant le procureur en la chastellenie de Compains. Excipant d’une reconnaissance de dettes de 736 livres pour gages non payés et argent prêté datée du 20 mai 1740 à lui faite par son oncle, le vicaire se retourne contre le marchand pour être dédommagé. Au préalable, il a demandé la vérification de la signature de son oncle. Le curé  aurait-il retenu par devers lui les revenus du vicaire et pourquoi ? L’épilogue de l’affaire ne nous est pas parvenu. En 1744 on retrouve Guillaume, curé de la paroisse de Saint-Anastaise.

Fin de vie difficile des prêtres ruraux

      Rien n’est prévu par l’Eglise pour assurer aux prêtres ruraux soins et tranquillité durant leurs vieux jours. Nombre de curés ne peuvent compter que sur leur maigre pension et sur l’espérance que le soutien charitable de leur successeur leur permettra une fin de vie paisible. Près de La Bourboule, à Saint-Donat, le curé dit avoir dû se charger “charitablement” de l’ancien curé Bernard “que j’ai gardé onze ans dans l’infirmité”. A Saint-Anastaise en 1744, Blaize Champaix, prêtre et curé de l’église paroissiale depuis quinze ans “étant depuis deux années assis infirme”, doit résigner sa cure au profit de Guillaume Breulh, neveu de feu le curé de Compains. Il dit “avoir esté a l’extrémité de vendre tous les meubles cy dessus a cause de ses indispositions et pour subsister”. Guillaume Breulh, nouveau titulaire de la cure , rachète “tous les meubles qui sont en évidence présents dans la maison” et les paie 200 livres au vieux curé. Blaize Champaix se constitue ainsi un petit pécule qu’il complètera avec le tiers de sa congrue que la loi l’autorise à conserver. S’y ajoute “une pension viagère de la somme de cent livres sur les fruits et revenus de ladite cure”. Au vu des biens rachetés par Guillaume Breulh, il semble que le curé de Saint-Anastaise ait vécu aussi modestement que son collègue de Compains. Outre les ustensiles de cuisine, on trouve au presbytère “140 aulnes de toile de lin commune […] un fusil, un mauvais buffet, une hormoire a deux portes fort usé, une maie a pétrir, un coffre à sel qui servait aussi de tabouret”. Sans doute le curé chassait-il et touchait-il une dîme de lin. Aucun bétail n’est mentionné, le cheval est absent, la paroisse de Saint-Anastaise est il est vrai beaucoup moins étendue que celle de Compains.

     Jean-Baptiste Massillon était bien conscient de la misère endurée par nombre de religieux qui officiaient dans les paroisses pauvres. Il écrivait  au surintendant Orry que, si on exigeait des prêtres certains arrérages d’impôts qu’ils n’avaient pu payer, on ne manquerait pas de réduire à manquer de pain la plupart des curés à portion congrue. Orry fit néanmoins saisir le temporel de quelques presbytères (B. Attain).

Jean Breulh : le “bon prêtre” évoqué par Massillon ?

     Passé par le séminaire, ordonné prêtre après la Réforme catholique, tout semble indiquer que Jean Breulh a été formé pour faire preuve des vertus morales indispensables à l’exercice de son ministère. Durant cinquante ans, il a connu tous les secrets d’une paroisse réputée peu facile au dire des administrateurs de la province. On l’imagine, chevauchant inlassablement dans la montagne embrumée, balayée par l’écir ou en proie aux tempêtes de neige, venant délivrer les sacrements ou catéchisant les enfants, formant les sages femmes au baptême des nouveaux nés, et houspillant à l’occasion les mauvais sujets de la paroisse. Durant son ministère, l’organisation paroissiale s’est améliorée comme  en témoignent les procès verbaux des visites pastorales. Dit “paisible possesseur” de sa cure, on sait qu’il “réside sur le lieu”, respectant les ordonnances des évêques qui, dans le cadre de la réforme de l’Eglise, luttent contre l’absentéisme des ecclésiastiques.

     Alors, “bon prêtre” Jean Breulh ? En l’état des sources, il est permis de le penser. Certes, il procura à ses neveu des postes auprès de lui, mais l’Eglise qui officiellement rejetait le népotisme, savait  bien le tolérer en cas de nécessité. L’évêché valida ces nominations qui ne furent pas considérées comme contrevenant aux ordonnances de l’évêque. Et sans doute la difficulté de trouver des prêtres prêts à assumer le soin des âmes d’une paroisse isolée dans les montagnes de la Basse Auvergne et peuplée d’habitants réputés “farouches” n’y est-elle pas étrangère .

7 janvier 1740 – Dernière signature de Jean Breulh

2 commentaires sur “– Chronique de la vie ordinaire d’un curé”

  1. gipe Says:

    Moi qui pensais que l’abbé Bérard avait battu le record de sacerdoce à Compains!

  2. Vermeulen Says:

    Merci pour ce récit d’un de nos ancêtres collatéraux, précieux pour notre histoire familiale, étant propriétaire à Egliseneuve d’Entraigues mais notre lignée vit dans l’Oise depuis deux siècles.

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